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Le buisson à ses yeux rit, et jette une rose.
Elle sait ne point voir, dans son juste dédain,
Les fleurs qui trop souvent, courant de main en main,
Ont perdu tout l'éclat de leurs fraîcheurs vermeilles;
Elle sait même encore, ô charmantes merveilles!
Sous ses doigts délicats réparer et cueillir
Celles qu'une autre main n'avait su que flétrir.
Elle seule connaît ces extases choisies,
D'un esprit tout de feu mobiles fantaisies,
Ces rêves d'un moment, belles illusions,
D'un monde imaginaire aimables visions,
Qui ne frappent jamais, trop subtile lumière,
Des terrestres esprits l'œil épais et vulgaire;
Seule, de mots heureux, faciles, transparens,
Elle sait revêtir ces fantômes errans.
Ainsi des hauts sapins de la Finlande humide,
De l'ambre, enfant du ciel, distille l'or fluide;

1. L'auteur veut parler ici de l'ambre jaune, nommé indistinctement succin ou karabé. Rigoureusement parlant, on peut dire que, malgré les recherches nombreuses que les naturalistes ont faites sur la véritable origine de cette substance, on ne s'est encore rien procuré de positif. On sait seulement qu'elle abonde sur les rives de la mer Baltique. Toutefois, la plupart de nos savans modernes s'accordent à la placer dans la classe des minéraux.

« Le succin était très-estimé des anciens. Il n'est même pas de production dans la nature sur laquelle l'imagination des poètes se soit autant exercée pour illustrer son origine. Sophocle avait dit qu'il était formé dans l'Inde par les larmes des sœurs de Méléagre, changées en oiseaux, et pleurant la mort de leur frère. Pline n'a pas

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Et sa chute souvent rencontre dans les airs
Quelque insecte volant, qu'il porte au fond des mers.
De la Baltique enfin les vagues orageuses
Roulent et vont jeter ces larmes précieuses
Où la fière Vistule, en de nobles coteaux,
Et le froid Niémen expirent dans ses eaux.
Là les arts vont cueillir cette merveille utile,
Tombe odorante, où vit l'insecte volatile;

dédaigné de rapporter toutes ces fables, et de les mêler à des traditions qui, pour être moins merveilleuses, ne lui paraissent pas à la vérité plus dignes de foi. Ce célèbre naturaliste regardait comme très-certain que le succin ou karabé coule d'un arbre de la famille des pins, comme la gomme coule des cerisiers; qu'il se durcit pendant l'automne, et qu'après avoir été emporté par le vent dans les eaux de l'Océan il est ensuite repoussé sur le rivage. »

(Encyclopédie. Chimie, t. I, p. 69 et suiv.)

On voit clairement que cette théorie, admissible à quelques égards, est précisément celle qu'André Chénier a cru devoir adopter dans son poëme; et nous ne répondrions pas que Martial luimême n'ait pas contribué beaucoup à le décider par les diverses descriptions qu'il a données du succin dans son recueil de Poésies. Nous nous contenterons de citer l'épigramme suivante, où il est question du phénomène qu'André Chénier a rendu dans ses vers d'une manière si poétique et si gracieuse.

DE FORMICA ELECTRO INCLUSA.

Dùm phaetonteâ formica vagatur in umbra,
Implicuit tenuem succina gutta feram.
Sic modo quæ fuerat vitá contempta manente
Funeribus facta est nunc pretiosa suis.

Epigram. XV, lib. VI.

(Note de l'Éditeur.)

Dans cet or diaphane il est lui-même encor:
On dirait qu'il respire et va prendre l'essor.

Qui que tu sois enfin, ô toi, jeune poète,
Travaille: ose achever cette illustre conquête.
De preuves, de raisons, qu'est-il encor besoin?
Travaille: un grand exemple est un puissant témoin
Montre ce qu'on peut faire, en le faisant toi-même.
Si pour toi la retraite est un bonheur suprême,
Si chaque jour les vers de ces maîtres fameux
Font bouillonner ton sang, et dressent tes cheveux ;
Si tu sens chaque jour, animé de leur âme,
Ce besoin de créer, ces transports, cette flamme,
Travaille. A nos censeurs c'est à toi de montrer
Tous ces trésors nouveaux qu'ils veulent ignorer.
Il faudra bien les voir, il faudra bien se taire,
Quand ils verront enfin cette gloire étrangère
De rayons inconnus ceindre ton front brillant.
Aux antres de Paros le bloc étincelant

N'est aux vulgaires yeux qu'une pierre insensible;
Mais le docte ciseau, dans son sein invisible,
Voit, suit, trouve la vie, et l'âme, et tous ses traits.
Tout l'Olympe respire en ses détours secrets :
Là vivent de Vénus les beautés souveraines;
Là des muscles nerveux; là de sanglantes veines
Serpentent; là des flancs invaincus aux travaux
Pour soulager Atlas des célestes fardeaux.
Aux volontés du fer leur enveloppe énorme

Cède, s'amollit, tombe; et de ce bloc informe Jaillissent, éclatans, des dieux pour nos autels: C'est Apollon lui-même, honneur des Immortels; C'est Alcide vainqueur des monstres de Némée; C'est du vieillard troyen la mort envenimée; C'est des Hébreux errans le chef, le défenseur. Dieu tout entier habite en ce marbre penseur : Ciel! n'entendez-vous pas de sa bouche profonde Éclater cette voix créatrice du monde!

O qu'ainsi, parmi nous, des esprits inventeurs
De Virgile et d'Homère atteignent les hauteurs;
Sachent dans la mémoire avoir comme eux un temple,
Et sans suivre leurs pas imiter leur exemple;
Faire, en s'éloignant d'eux, avec un soin jaloux,
Ce qu'eux-même ils feraient s'ils vivaient parmi nous!
Que la Nature seule, en ses vastes miracles,
Soit leur fable et leurs dieux, et ses lois leurs oracles;
Que leurs vers, de Thétis respectant le sommeil,
N'aillent plus dans ses flots rallumer le soleil!
De la cour d'Apollon que l'erreur soit bannie;
Et qu'enfin Calliope, élève d'Uranie,
Montant sa lyre d'or sur un plus noble ton,
En langage des Dieux fasse parler Newton!

Oh! si je puis un jour.... Mais, quel est ce murmure? Quelle nouvelle attaque, et plus forte et plus dure? O langue des Français! est-il vrai que ton sort

Est de ramper toujours, et que toi seule as tort?
Ou, si d'un faible esprit l'indolente paresse
Veut rejeter sur toi sa honte et sa faiblesse,
Il n'est sot traducteur de sa richesse enflé,

Sot auteur d'un poème, ou d'un discours sifflé,
Ou d'un recueil ombré de chansons à la glace,
Qui ne vous avertisse en sa fière préface
Que, si son style épais vous fatigue d'abord,
Si sa prose vous pèse et bientôt vous endort,
Si son vers est gêné, sans feu, sans harmonie,
Il n'en est point coupable. Il n'est pas sans génie:
Il a tous les talens qui font les grands succès;
Mais enfin, malgré lui, ce langage français,
Si faible en ses couleurs, si froid et si timide,
L'a contraint d'être lourd, gauche, plat, insipide.
Mais serait-ce Le Brun, Racine, Despréaux,
Qui l'accusent ainsi d'abuser leurs travaux?
Est-ce à Rousseau, Buffon, qu'il résiste infidèle?
Est-ce pour Montesquieu qu'impuissant et rebelle
Il fuit? Ne sait-il pas, se reposant sur eux,
Doux, rapide, abondant, magnifique, nerveux,
Creusant dans les détours de ces âmes profondes,
S'y teindre, s'y tremper de leurs couleurs fécondes?
Un rimeur voit partout un nuage, et jamais
D'un coup-d'œil ferme et grand n'a saisi les objets;
La langue se refuse à ses demi-pensées,
De sang-froid, pas à pas, avec peine amassées :
Il se dépite alors; et, restant en chemin,

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