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Ont de loin à Virgile indiqué les secrets
D'une Nature encore à leurs yeux trop voilée.
Toricelli, Newton, Kepler et Galilée,
Plus doctes, plus heureux, dans leurs puissans efforts,
A tout nouveau Virgile ont ouvert des trésors.
Tous les arts sont unis; les sciences humaines
N'ont pu de leur empire étendre les domaines,
Sans agrandir aussi la carrière des vers.
Quel long travail pour eux a conquis l'univers!
Aux regards de Buffon, sans voile, sans obstacles,
La terre ouvrant son sein, ses ressorts, ses miracles,
Ses germes, ses coteaux, dépouilles de Thétis;
Les nuages épais, sur elle appesantis,
De ses noires vapeurs nourrissant leur tonnerre;
Et l'hiver ennemi, pour envahir la terre,
Roi des antres du Nord; et, de glaces armés,
Ses pas usurpateurs sur nos monts imprimés;
Et l'œil perçant du verre en la vaste étendue
Allant chercher ces feux qui fuyaient notre vue;
Aux changemens prédits, immuables, fixés,
Que d'une plume d'or Bailly nous a tracés1,
Aux lois de Cassini, les comètes fidèles;

1. Dans son Histoire de l'astronomie et dans son Mémoire sur la lumière des satellites de Jupiter, avec des tables de leurs mouvemens. Cet ouvrage profondément sensé et écrit d'une manière fort élégante, a placé Bailly au rang de nos premiers astronomes et de nos plus habiles écrivains. (Note de l'Éditeur.)

L'aimant de nos vaisseaux seul dirigeant les ailes;
Une Cybèle neuve1, et cent mondes divers
Aux yeux de nos Jasons sortis du sein des mers.
Quel amas de tableaux, de sublimes images,
Naît de ces grands objets réservés à nos âges!
Sous ces bois étrangers qui couronnent ces monts,
Aux vallons de Cusco, dans ces antres profonds,
Si chers à la fortune et plus chers au génie,
Germent des mines d'or, de gloire et d'harmonie.
Pensez-vous, si Virgile, ou l'Aveugle divin2,
Renaissaient aujourd'hui, que leur savante main
Négligeât de saisir ces fécondes richesses,
De notre Pinde auguste éclatantes largesses?
Nous en verrions briller leurs sublimes écrits;
Et ces mêmes objets que vos doctes mépris
Accueillent aujourd'hui d'un front dur et sévère
Alors à vos regards auraient seuls droit de plaire.
Alors, dans l'avenir, votre inflexible humeur
Aurait soin de défendre à tout jeune rimeur
D'oser sortir jamais de ce cercle d'images
Que vos yeux auraient vu tracé dans leurs ouvrages.
Mais qui jamais a su, dans des vers séduisans,
Sous des dehors plus vrais peindre l'esprit aux sens!
Mais quelle voix jamais, d'une plus pure flamme,
Et chatouilla l'oreille, et pénétra dans l'âme!

1. L'Amérique. 2. Homère.

1

Mais leurs mœurs et leurs lois, et mille autres hasards,
Rendaient leur siècle heureux plus propice aux beaux-arts.
Eh bien! l'âme est partout, la pensée a des ailes :
Volons, volons chez eux retrouver leurs modèles;
Voyageons dans leur âge, où libre, sans détour,
Chaque homme ose être un homme, et penser au grand jour.
Au tribunal de Mars, sur la pourpre romaine,
Là du grand Cicéron la vertueuse haine
Écrase Céthégus, Catilina, Verrès;

Là tonne Démosthène; ici, de Périclès

La voix, l'ardente voix, de tous les cœurs maîtresse,
Frappe, foudroie, agite, épouvante la Grèce.
Allons voir la grandeur et l'éclat de leurs jeux.
Ciel! la mer appelée en un bassin pompeux!
Deux flottes parcourant cette enceinte profonde,
Combattant sous les yeux des conquérans du monde 1!

1. L'auteur fait allusion ici à la célèbre naumachie qui eut lieu à Rome le jour du second triomphe de César. « Navali prælio, in mi« nore Codettâ defosso lacu, biremes ac triremes quadriremes que « Tyriæ et Ægyptiæ classes, magno pugnatorum numero, conflixe« runt.» Suéton. Julii Cæsaris vitá. Laharpe, dans sa traduction de cet historien romain, avance que tous les commentateurs se sont tourmentés en vain pour trouver la petite Codette, (in minore Codetta) et qu'ils n'ont jamais pu découvrir ce que c'était : nous pensons, nous, que ce lac, nommé par les Romains du tems Euripus, n'a pu être creusé que dans les environs d'Ostie, campagne de Rome, et bâtie par Ancus Martius à l'embouchure du Tibre, l'an 627 avant J.-C. Suétone rapporte plus loin que César voulait élever à

Mars un temple plus vaste qu'aucun temple du monde, en comblant le lac où il avait donné ce spectacle naval. (Note de l'Éditeur.)

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O terre de Pélops! avec le monde entier
Allons voir d'Épidaure un agile coursier
Couronné dans les champs de Némée et d'Élide 1!
Allons voir au théâtre, aux accens d'Euripide,
D'une sainte folie un peuple furieux

Chanter: Amour, tyran des hommes et des dieux!
Puis, ivres des transports qui nous viennentsurprendre,
Parmi nous, dans nos vers, revenons les répandre;
Changeons en notre miel leurs plus antiques fleurs;
Pour peindre notre idée, empruntons leurs couleurs;
Allumons nos flambeaux à leurs feux poétiques;
Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques!

Direz-vous qu'un objet né sur leur Hélicon
A seul de nous charmer pu recevoir le don?
Que leurs fables, leurs dieux, ces mensonges futiles,
Des Muses noble ouvrage, aux Muses sont utiles?
Que nos travaux savans, nos calculs studieux,
Qui subjuguent l'esprit et répugnent aux yeux,
Que l'on croit malgré soi, sont pénibles, austères,
Et moins grands, moins pompeux que leurs belles chimères?
Voilà ce que traités, préfaces, longs discours,
Prose, rime, partout nous disent tous les jours.
Mais enfin, dites-moi, si d'une œuvre immortelle

1. Voyez, dans le tome III du Voyage du jeune Anacharsis, chap. xxxv111, la description des jeux olympiques en Élide. Les jeux célébrés à Némée sont absolument les mêmes. (Note de l'Éd.)

La Nature est en nous la source et le modèle,
Pouvez-vous le penser que tout cet univers,
Et cet ordre éternel, ces mouvemens divers,
L'immense vérité, la Nature elle-même,
Soit moins grande en effet que ce brillant systême
Qu'ils nommaient la Nature, et dont d'heureux efforts
Disposaient avec art les fragiles ressorts?
Mais quoi! ces vérités sont au loin reculées,
Dans un langage obscur saintement recélées;
Le peuple les ignore. O Muses, ô Phébus!
C'est là, c'est là sans doute un aiguillon de plus.
L'auguste Poésie, éclatante interprète,
Se couvrira de gloire en forçant leur retraite.
Cette reine des cœurs, à la touchante voix,
A le droit, en tous lieux, de nous dicter son choix,
Sûre de voir partout, introduite par elle,
Applaudir à grands cris une beauté nouvelle,
Et les objets nouveaux que sa voix a tentés
Partout de bouche en bouche après elle chantés.
Elle porte, à travers leurs nuages plus sombres,
Des rayons lumineux qui dissipent leurs ombres ;
Et rit quand, dans son vide, un auteur oppressé
Se plaint qu'on a tout dit et que tout est pensé.
Seule, et la lyre en main, et de fleurs couronnée,
De doux ravissemens partout accompagnée,
Aux lieux les plus déserts, ses pas, ses jeunes pas
Trouvent mille trésors qu'on ne soupçonnait pas.
Sur l'aride buisson que son regard se pose:

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