Bonjour, confrère, lui-dit-il.— Imbé- | tabatière ouverte d'une main, une prise cile ! répond Delrieu blessé. C'est bien de tabac captive entre le pouce et l'index comme cela que je l'entends, réplique dans l'autre, mais arrêtée à une égale Perpignan de l'air le plus gracieux du distance du nez et de la tabatière, prêtait l'oreille au bruit des sifflets et mu. murait entre ses dents : monde. A la reprise d'Artaxerce, que l'auteur avait sollicitée vingt ans, la pièce, tant prônée d'avance par son auteur, fit ce qu'on appelle, en termes de théâtre, un fiasco complet. Quinze jours après, un de ses amis le rencontre : Une autre fois Artaxerce allait finir. Delrieu, descendu de l'encoignure des premières loges où il va savourer le bonheur de se voir passer, entre, regarde sa femme assise sur la seconde banquette, et lui fait toutes sortes de signes de mécontentement. Elle, qui voulait admirer et soutenir jusqu'au dernier vers de la pièce, continuait à battre des mains tout en regardant son époux d'un air étonné. Et Delrieu de paraître de plus en plus en colère. Enfin, le rideau baissé, sa femme vient à lui en disant : « Mais qu'as-tu? Tu ne voyais donc pas comme j'applaudissais? Oui, sans doute, répondit-il, sans se calmer, mais, malheureuse, tu avais tes gants! >> spec Le vieux Delrieu allait dans un café, le jour de la représentation de sa tragédie d'Artaxerce, avant l'heure du tacle, et jouait cette petite scène : « Garçon, un journal de spectacle !. Voyons un peu,» disait-il tout haut, pour être entendu de ses voisins, « que donne-t-on ce soir à la Comédie française ? Artaxerce! Diable! diable! je ne veux pas manquer celle-là. Garçon ! servez-moi vite, vite; on donne Artaxerce, il y aura foule aux Français. » (Encyclopédiana.) A la première représentation de Maria Padilla, au théâtre du Vaudeville de la rue de Chartres, l'auteur, M. Ancelot, sa << Les malheureux auront ajouté quelque chose! >> M. Ancelot ne pouvait pas admettre que sa prose pût être sifflée. (Victor Couailhac, La Vie de théatre.) au Chacun sait que la célèbre mademoiselle R... (Rachel) ne devait pas sa réputation à son embonpoint. Un ambassadeur turc s'était cependant épris d'elle point d'en perdre la tête. Mademoiselle R... fut insensible à cet amour et lui tint obstinément rigueur. Après deux ans de soupirs exhalés en pure perte, le représentant de la Sublime Porte prit le parti d'écrire à mademoiselle R... une Îettre d'adieu où, tout en peignant pour la dernière fois son désespoir, il reprochait avec quelque vivacité à la célèbre femme sa cruauté. Cette lettre finissait par ces mots : «Allah! qui eût pu croire qu'un serviteur du Prophète pût tant souffrir pour une femme maigre! (P.-J. Stahl.) Amphibologie. Le Tartuffe fut donné à Paris, pour la première fois, le 5 août 1667. Le lendemain, on allait le rejouer; l'assemblée était la plus nombreuse qu'on eût jamais vue; il y avait des dames de la première distinction jusqu'aux troisièmes loges; les acteurs allaient commencer, lorsqu'il arriva un ordre du premier président du parlement (M. de Lamoignon) portant défense de jouer la pièce. C'est à cette occasion qu'on prétend que Molière dit à l'assemblée : « Messieurs, nous allions vous donner le Tartuffe, mais monsieur le premier président ne veut pas qu'on le joue (1). (Vie de Molière.) (1) Nous n'avons pas besoin de faire ressortir la parfaite vraisemblance de cette anecdote, qui se trouve partout, et que Voltaire surtout a contribué à rendre populaire. Elle a été réfutée par plusieurs commentateurs de Molière, en particulier par Auger. Le cardinal Dubois avait un frère qu'il avait placé dans ses bureaux, et qui ne brillait pas par l'intelligence. Il sonne; un laquais accourt: «Que veut monseigneur ? -Dubois. » Le domestique apporte, en effet, du bois. « Ce n'est pas cette bûchelà que je demande, lui dit le cardinal. Faites venir mon frère, »> Tout le monde sait combien le cardinal Dubois était décrié pour ses mœurs scandaleuses. Une poissarde s'étant avisée à dessein de faire faire un maquereau de bois, bien imité, elle l'étala parmi ses autres maquereaux. Comme il paraissait un des plus beaux, chacun de ceux qui venaient en marchander portaient la main dessus, et dès qu'on avait senti ce que c'était, on le jetait là, en disant : « C'est du bois. » Tout le monde, dit le chevalier de Ravannes, sut qu'il y avait à la poissonnerie un maquereau qui n'était autre chose que Dubois. (Improvisat. français. L'amphigouri n'est, comme on sait, qu'un galimatias richement rimé. J'ai fait beaucoup trop de couplets dans ce genre méprisable. Je me permets de donner celui-ci, parce qu'il a toute l'apparence d'avoir quelque sens, puisque le célèbre Fontenelle, l'entendant chanter chez madame de Tencin, crut le comprendre un peu, et le fit recommencer pour l'entendre mieux. Madame de Tencin interrompit e chanteur, et dit à Fontenelle: «Eh! grosse bête! ne vois-tu pas que cet amlphigouri n'est que du galimatias (1)? » Fontenelle, sui aurait répondu (1) « Ma foi, Voici le couplet : AIR: Du menuet de la pupille. (Collé, Théâtre de société.) Galba, qui avait donné à souper à Mécénas, voyant que sa femme et lui commençaient à comploter d'œillades et de signes, se laissa couler sur son coussin, représentant un homme aggravé de sommeil, pour faire épaule à leurs amours. Ce qu'il avoua d'assez bonne grâce, car, sur ce point, un valet ayant pris la hardiesse de porter la main sur des vases qui étaient sur la table, il lui cria tout franchement : « Comment, coquin, ne vois-tu pas que je ne dors que pour Mécénas! » (Montaigne, Essais.) Amphitryon déçu. Un fermier général avait invité la Fontaine à dîner, dans la persuasion qu'un auteur, dont tout le monde admirait les contes, ne pouvait manquer de faire les amusements de la société. La Fontaine mangea, ne parla point, et se leva de fort bonne heure, sous prétexte de se rendre à l'Académie. On lui représenta qu'il n'était pas encore temps : « Je le sais bien, répondit-il; aussi prendraije le plus long. (Mémoires anecd. des règnes de Une femme de province avait désiré être d'un diner que le marquis de Lassay donnait à quelques hommes célèbres dans les lettres. Surprise de voir le dîner très-avancé sans avoir encore rien entendu de fort merveilleux, elle dit à sa voisine: « Quand commenceront-ils? » vant une version qui enrichit cette anecdote, cela ressemble tellement à tout ce que je lis chaque jour qu'on pouvait aisément s'y tromper. »> Le célèbre pianiste Chopin avait été invité dans un grand dîner d'apparat, chez de riches bourgeois. Il avait eu beau s'en défendre, il avait été forcé de se rendre aux pressantes sollicitations de ses hôtes, qui avaient promis à leurs nombreux invités de leur faire entendre le grand Chopin dans la soirée qui devait suivre le dîner. L'artiste, souffrant déjà de la cruelle maladie qui devait l'enlever si jeune, fit peu d'honneur aux différents plats qui passèrent devant ses yeux, et ne répondit guère aux avances et aux questions qui l'assiégeaient de toutes parts. Le diner s'achève enfin, on ouvre le piano, et on lui demande de vouloir bien jouer une de ses ravissantes mazurkas. Chopin se récuse, objecte sa santé délicate et mille autres prétextes; la maîtresse de la maison se récrie et veut alors faire sentir à l'artiste qu'il n'a été invité au dîner que pour payer son écot en musique. « Oh! madame, répliqua-t-il aussitôt, j'ai si peu mangé! » Sur ce, il salue profondément et se retire, laissant tous les assistants abasourdis devant cette fugue non prévue par le programme. (L'Entr'acte.) Amphitryon facétieux. Héliogabale faisait donner, au lieu des coussins ordinaires, à ceux de ses amis qui étaient de basse condition, des sacs de cuir remplis de vent, qu'il ordonnait de vider pendant le repas; de sorte que la plupart de ses convives se trouvaient tout à coup dinant sous la table. (Lampride.) Amputation. Jean-Frédéric Veisse, chirurgien d'Auguste Ir, roi de Pologne, avait travaillé pendant cinq ans dans les hôpitaux étrangers, et le fameux Petit, de Paris, avait été son premier maître. Un mal d'aventure, survenu à un doigt du pied du roi de Pologne, devint tres-sérieux. Veisse, qui voit tous les symptômes de la gangrene, opine pour l'amputation, contre l'avis des premiers médecins, qui décident qu'il faut dépêcher un courrier à Paris pour faire venir M. Petit. Cependant la vie du roi courait le plus grand danger. Après quelques heures d'une incertitude pénible, Veisse se décide à une action qui pouvait le perdre. Il fait prendre au roi une dose d'opium, l'endort profondément, et pendant son sommeil, avec autant d'adresse que de courage, il lui ampute le doigt. Eveillé par une douleur aigüe, le roi se plaint de ce qu'on prend si mal son temps pour le panser; mais la force de l'opium ne tarde pas à le rendormir. Le lendemain, il s'aperçoit que son doigt est coupé, et demande qui a fait une opération si hardie. « Sire, répond Veisse, pardonnez à un sujet fidèle et reconnaissant, qui, vous voyant dans le plus grand danger, hasarde tout pour conserver votre vie précieuse. Si l'on eût attendu pour l'amputation l'arrivée de Petit, certainement la gangrène mortelle allait gagner tout le pied de votre majesté, et tout mon zèle, comme tous les secours humains, n'eussent pu rien pour vous sauver. Et il n'y avait pas, dit le roi, d'autres moyens à employer que l'ampuNon, sire, il n'y en avait auPetit le dira, j'en réponds tation? cun autre sur ma tête. Qui a été présent à l'opération? Le valet de chambre de votre majesté. Fort bien. Gardez donc tous les deux, jusqu'à nouvel ordre, le plus inviolable secret. Et toi (continue le prince, en tirant sa tabatière d'or dont il jette le tabac) mets là dedans le doigt coupé, et garde-le comme un souvenir. >> On ne dit rien. Personne n'eut le moindre doute de ce qui s'était passé. Douze jours après, arrive Petit. Les médecins sont assemblés sur l'heure. On lui expose quel avait été l'état du roi, lorsqu'on l'avait demandé, et l'état actuel dans lequel on supposait assez naïvement qu'il devait être. Le chirurgien français, frappé d'étonnement, et reconnaissant, d'après le récit, la gangrène aux symptômes annoncés depuis tant de jours, s'écrie qu'il ne peut concevoir comment le roi vit encore, ni comment, dans un péril si pressant, qui ne permettait aucun délai, on avait été si loin chercher des conseils inutiles; qu'il n'y avait d'autre parti à prendre que la plus prompte amputation, supposé qu'il en fût encore temps. Tous les ennemis de Veisse, couverts de honte, n'osaient plus soutenir les regards du roi; mais quelles furent tout à coup leur confusion et leur surprise, quand Veisse s'avança vers Petit, Un soir, il y a bien longtemps, j'étais à Paris, aux Funambules, placé de manière à apercevoir ce qui se passait dans la coulisse: elle n'a guère, à ce petit théâtre, plus de deux mètres de profondeur, et l'on voit tout de suite, derrière les portants, le mur en briques, blanchi au lait de chaux. Arlequin, vif et leste, venait de déployer, aux applaudissements de la salle, sa légèreté, sa souplesse; il était svelte, gracieux, gai, éblouissant; c'était la malice, la joie, la jeunesse, — un enfant et un chat! Après avoir mimé, dansé, sauté, escaladé, battu tout homme et toute chose, pour terminer la scène, il s'était lancé horizontalement, la tête la première, à travers une fenêtre fermée; il avait disparu par là, comme une flèche, au milieu des bravos et des hourras. Pendant que le spectacle continuait, je regardai par hasard dans la coulisse, et j'aperçus quelque chose qui me remplit d'étonnement: Arlequin, après ses proues ses, avait relevé sur sa tête son masque noir, pour respirer un peu; la chaleur était suffocante. Je vis alors, non un jeune homme, mais un homme âgé, usé, maigre, tanné, rouge, ruisselant de sueur, soufflant comme un cheval poussif; les muscles de son visage et de son cou étaient comme des cordes; il avait une barbe de deux ou trois jours, sale et grisonnante; il était morne, il était abruti de fatigue; de temps en temps il s'essuyait le visage avec un mouchoir à tabac, puis se fourrait une grosse prise dans le nez, comme pour se redonner de l'entrain. Une petite fille de cinq ou six ans, fagotée en maillot couleur saumon, vint près de lui pour lui demander de rajuster une de ses deux ailes d'ange ou de sylphide, qu'il raccommoda avec une ficelle. Puis il se remit à souffler, les mains sur les hanches, le corps détendu, affaissé, cassé, avachi, en attendant la scène où il allait reprendre, avec son masque et avec sa batte, sa légèreté, sa jeunesse, son agilité de poisson, ses grâces félines, tout son prestige! Jene fus pas seulement surpris et attristé, je fus presque effrayé, en découvrant tout à coup ce dessous du masque et l'envers de cette gaieté. Ainsi, sous ce bel arlequin, si preste, qu'on l'eût pris pour l'Adolescence elle-même, alors qu'il semblait se jouer à ces miracles de fantaisie aérienne, il y avait cela: un pauvre père de famille, âgé, exténué, gagnant avec sa petite fille le souper du ménage. (E. Deschanel, la Vie des comédiens.) Anachronisme. Balzac rapporte qu'un docteur moderne prêcha qu'Adam récitait tous les jours les psaumes de David ou de la Pénitence, et que l'ange, en visitant la Vierge, la trouva qui achevait de dire les heures de Notre Dame. (Bibliothèque de société.) Anagramme (1). César Coupé, célèbre anagrammatiste, et fertile en bons mots sur les maris qui (1) On appelle anagramme la transposition et la combinaison entre elles des lettres d'un nom ou d'un mot quelconque de manière à en tirer un sens; il faut que toutes les lettres soient employées pour que l'anagramme soit régulière. avaient des femmes coquettes, en eut une qui fit parler d'elle. Il fut obligé de s'en séparer. Quelqu'un qui avait une revanche à prendre contre ce satyrique, publia l'anagramme de son nom, où l'on trouvait, c... séparé. (Boursault, Lettres nouvelles.) André Rudiger, médecin à Leipsick, s'avisa, étant au collège, de faire l'anagramme de son nom en latin: il trouva de la manière la plus exacte dans Andreas Rudigerus ces mots, arare rus Dei dignus, qui veulent dire: digne de labourer le champ de Dieu. Il conclut de là que sa vocation était pour l'état ecclésiastique, et se mit à étudier la théologic. Peu de temps après cette belle découverte, il devint précepteur des enfants du célèbre Thomasius. Ce savant lui dit un jour qu'il ferait mieux son chemin en se tournant du côté de la médecine. Ru diger avoua que naturellement il avait plus de goût et d'inclination pour cette science; mais qu'ayant regardé l'ana gramme de son nom comme une vocation divine, il n'avait pas osé passer_outre. «Que vous êtes simple! lui dit Thomasius, c'est justement l'anagramme de votre nom qui vous appelle à la médecine. Rus Dei, n'est-ce pas le cimetière, et qui le laboure mieux que les médecins? » Rudiger ne put résister à cet argument, et se fit médecin. (Panckoucke.) Le père Proust et le père d'Orléans, tous deux jésuites, s'amusaient à tirer mutuellement de leurs noms des anagrammes satiriques. Le P. Proust, ayant trouvé l'Asne d'or dans le nom de son confrère, le défia de lui rendre la pareille, attendu la brièveté de son nom. Le P. d'Orléans en vint cependant à bout, et lui fit voir que pur sot se trouvait tout entier dans Proust. (Idem.) Quelqu'un ayant envoyé à Claude Ménétrier l'anagramme de son nom, dans lequel il avait trouvé miracle de la nature, cet écrivain lui répondit : Je ne prends pas pour un oracle |