Un marquis de ma connaisssance fit une rencontre ces jours derniers, près de son château en Berry. Revenant de la chasse, vers l'heure du diner, il voit un homme fort gras, à pied, près d'un cheval expirant, qui paraissait lui avoir servi de monture le marquis aborde l'inconnu; et comme ils étaient encore à trois lieues de la ville, il lui offre de se rafraîchir à son château. Ils arrivent ensemble; le voyageur, homme d'esprit, aimable et gai, plaît infiniment aux dames; on le laisse à regret partir à l'issue du dîner, et on lui demande sa parole de revenir le soir, après avoir terminé l'affaire qui l'appelait à la ville. Le marquis donne à l'inconnu une voiture pour le conduire, et deux laquais pour l'accompagner. Deux heures après son départ, on s'entretenait encore des agréments du gros homme, quand un des laquais qui l'avait suivi, entre d'un air affairé : « Mesdames, qu'avez-vous fait? ne vous a-t-il pas touchées? Cet homme qui a dîné avec vous, il est..... c'est..... le bourreau! - Ciel!» s'écria-t-on unanimement; et on n'entendit plus rien. Pas une des femmes qui étaient là n'a manqué de s'évanouir très-longtemps. Enfin, on recouvra la faculté de parler, pour dire que cet homme ( qui avait paru charmant) avait en effet quelque chose de sinistre dans la physionomie. Il se trouva au bout d'une heure que tout le monde s'était bien douté que ce n'était pas un homme comme il faut.. (Métra, Corresp. secrète, 1775.) Courtoisie et générosité. plus à son aise, et où je serai enchanté de le recevoir. » Le chevalier de SaintLouis se rendit avec empressement à cette invitation, et fut accueilli avec toute la considération possible par le maréchal, qui lui dit qu'il n'était pas juste qu'une blessure honorable, reçue au service du roi, le privât des plaisirs auxquels tout le monde avait droit, et lui annonça que dorénavant il aurait place dans sa loge à tous les spectacles. Il l'engagea à dîner pour le lendemain; et là, en présence d'une nombreuse société, lui demanda l'histoire de sa blessure. Le brave officier raconta, qu'à la bataille de* , ayant recu un coup de fusil qui lui perça la tète de part en part, il était resté couché parmi les morts; mais que, commençant à revenir d'un long évanouissement, sans avoir encore la force de parler, il vit venir à lui deux hussards démontés, dont l'un, en le regardant avec commisération, dit: Ah! le pauvre malheureux, comme il souffre! » et lui appuyant sa carabine sur la poitrine, il allait l'achever par pitié, lorsque le danger lui rendant plus de force, il eut le bonheur d'écarter avec sa main l'arme qui allait partir. « Ah! tu veux souffrir, dit le hussard en mauvais baragouin eh bien, souffre! » et il s'en alla. Il ajouta que les suites de sa blessure l'ayant obligé de quitter le service, où il était déjà avancé, il s'était rendu à Paris pour solliciter une pension de retraite. Le maréchal de Biron lui promit de s'intéresser vivement à la lui faire obte-.nir, et lui dit que, jugeant qu'elle serait au moins de deux mille francs, il le priait de permettre qu'il lui en offrît la première année d'avance. (Paris, Versailles et les provinces au XVIIIe siècle.) Courtoisie héroïque. Pendant l'émigration, lord Percy, comte de Beverley, invita à dîner le mar quis de la V..., un des plus vaillants soldats de l'armée de Condé. Pour honorer Un chevalier de Saint-Louis étant au parterre de l'Opéra avec un bonnet de velours noir sur sa tête, le sergent de garde vint le prévenir.de se conformer à l'ordre général, en ôtant son bonnet. L'officier répondit qu'il ne le pouvait pas, ayant une blessure à la tête qui ne lui permettait pas de se tenir découvert. Le sergent alors le pria avec la plus grande honnêteté de passer dans un coin, où il lui fit faire place, jusqu'à ce qu'il eût été prendre à cet égard les ordres du maré-à la fois son hôte et la cause qu'il servait, chal de Biron, qui heureusement était ce le pair d'Angleterre ordonna à son grand jour-là au spectacle, et qui apprenant maître d'apporter une bouteille d'un ce dont il s'agissait, dit au sergent : « Je johannisberg centenaire; il la déboucha ne lever point la consigne; mais en- lui-même avec précaution et remplit le gagez de ma part ce respectable mili- verre du marquis. taire à venir dans ma loge, où il sera « Si vous le jugez digne de cet hon Après la signature du traité de Villafranca, un officier d'état-major français dinait à la table du feld-maréchal Hess, qui lui dit : « Combien avez-vous eu de morts à Solférino? Et vous, maréchal? répondit l'officier. C'est à vous de les compter. Vous couchez toujours sur le champ de bataille. » des grands cordeliers de Paris, » et lui rendit la lettre de cachet avec une belle révérence. L'exempt, stupéfait de cette effronterie sans pareille, n'eut pas un mot à répliquer, et la reine trouva cette réponse si plaisante qu'elle laissa Ninon en repos. (Saint-Simon, Mémoires.) Créanciers. « Monsieur, je voudrais bien savoir quand vous me payerez, demandait à Talleyrand un de ses créanciers. — Vous êtes un drôle bien curieux!» répondit le prince. Créancier (Ruse de). M. W. Duckett, qui avait à se plaindre de Balzac, exigea le payement de deux effets, et traduisit le futur auteur de César Birotteau devant le tribunal de commerce (1837). Lui, à qui aucune des ressources des procédures civiles et commerciales n'était inconnue, tenta de se retrancher, par l'organe de son agréé, derrière son inviolabilité d'homme de lettres, et de décliner la compétence de la justice conCoutumes étrangères (Apprécia- | sulaire, qui lui répondit très-judicieuse tion de). Un Turc racontait autrefois au Grand Seigneur, que tous les Français devenaient fous à certain jour de l'année (mardi gras), et que quelque peu de certaine poudre appliquée sur le front (le mercredi des cendres) les faisait rentrer dans leur bon sens. (Charpenteriana.) Couvent (Choix d'un). Le bruit que fit Ninon de Lenclos, et plus encore le désordre qu'elle causa parmi la plus haute et la plus brillante jeunesse, força l'extrême indulgence que, non sans cause, la reine mère avait pour les personnes galantes et plus que galantes, de lui envoyer un ordre de se retirer dans un couvent. Un de ses exempts de Paris lui porta la lettre de cachet; elle la lut, et remarquant qu'il n'y avait pas de Couvent désigné en particulier : « Monsieur, dit-elle à l'exempt sans se déconcerter, puisque la reine a tant de bonté pour moi que de me laisser le choix du couvent où elle veut que je me retire, je vous prie de lui dire que je choisis celui ment: « Vous êtes homme de lettres, c'est incontestable; mais vous êtes, par-dessus le marché, commerçant en vertu de votre caractère de gérant d'une commandite, donc je vous condamne, et par corps, à payer... >> Cette manière de se défendre avait exaspéré W. Duckett, qui prenait sa revanche des paroles offensantes que l'auteur de la Comédie humaine ne lui avait pas épargnées en diverses circonstances: « Il ne veut pas me payer, disait-il, patience! je saurai bien l'y contraindre... » Et, en effet, il en vint à bout après bien des tentatives infructueuses. De Balzac, au moment où il cherchait à se soustraire à sa condamuation par corps, avait trouvé enfin un refuge chez un de ses meilleurs amis. Un garde du commerce, plus intelligent et plus habile que ses pareils, revêt l'uniforme des employés de l'administration des diligences Lafitte et Caillard; il porte sous le bras un livre de recettes, sur l'épaule une grosse sacoche pleine de pièces d'argent, et va sonner à la porte d'un splendide hotel des Champs-Élysées. Et il laisse tomber lourdement sur le parquet sa sacoche, qui fait entendre un son métallique de très-bon aloi. A la vue de Balzac, le prétendu facteur se démasque : « Au nom de la loi, je vous arrête, monsieur de Balzac! dit-il en lui mettant la main sur le capuce de son froc de dominicain, à moins que vous ne me payiez à l'instant même mille treize cent quatrevingts francs, plus les nouveaux frais, sinon je vous conduis à Clichy. Il est inutile de chercher à fuir la maison est cernée, et dans un fiacre, à votre porte, stationne M. le juge de paix... Tout a été prévu. De Balzac ne possédait pas à cette heure un centime. Mais l'hospitalité qu'il M. de Balzac ne demeure pas ici, recevait dans cet hôtel, chez un ami, répond la soubrette. M.*** est-il était une hospitalité de courtoisie et de alors chez lui? reprend le facteur. générosité; dans une situation pareille, Non, mais madame y est. Veuil-il était impossible qu'on le laissât emmener comme un malfaiteur. En l'absence de son mari, Mme paya le garde du commerce, capital, intérêts et frais, et de Balzac se trouva ainsi débarrassé d'un horrible cauchemar. lez avoir la bonté de la prévenir que j'ai six mille francs là dedans (et il donne un coup de pied à son gros sac d'argent), destinés à M. de Balzac. Attendez ́ je vais prévenir ma maîtresse... Asseyezvous!... >> Quelques minutes après, le prétendu facteur était en présence de Mme : << Madame, lui dit-il, veuillez faire venir M. de Balzac, j'ai six mille francs à lui remettre. >> Mme , peu habituée à une défiance telle que le commandait la circonstance, resta stupéfaite... « D'où peut donc lui venir cet argent? Je l'ignore, madame; tout ce que je sais, c'est que la somme est belle à recevoir, et que je voudrais bien être à la place de M. de Balzac. Ne pouvezvous me la confier? Impossible, madame, car, avec tout le respect que je vous dois, il faut absolument, pour ma garantie, que ce soit M. de Balzac luimême qui signe, en ma présence, sa décharge sur ce livre que voilà... C'est fâcheux... Nous connaissons bien M. de Balzac, mais il n'est pas ici en ce moment... Il pourra peut-être venir aujourd'hui... Asseyez-vous, je vais revenir. » Peu longue fut, à ce qu'il paraît, la recherche. Alléché par cette bonne fortune des six mille francs qui lui tombait si inopinément du ciel, malgré toute sa finesse, malgré toute la perspicacité d'un homme rompu de longue main aux ruses des gens d'affaires, de Balzac tomba dans le piége! *** (Werdet, Souvenirs littéraires d'un libraire-éditeur.) Crédulité. Chapelle, l'excellent Cassandre du Vaudeville, épicier en même temps qu'acteur, se rendit fameux surtout par une crédulité incroyable, soit dit sans jeu de mots. C'est à lui qu'un de ses camarades raconta cette histoire de la carpe apprivoisée, remise depuis à toute sauces, et resservie bien des fois comme un plat nouveau. Cette carpe suivait partout son maître, comme un caniche, mais elle se noya un jour en voulant enjamber un ruisseau grossi par une pluie d'orage: «Oh! quel malheur ! s'écria le bon Chapelle, qui avait écouté avec le plus grand intérêt cette touchante histoire; je croyais que les carpes nageaient comme des poissons. » Sur la fin, on avait tant mystifié Chapelle, on lui avait tant persuadé de choses impossibles, qu'il était devenu d'une méfiance extrême. Un ami lui disait · Bonjour, Chapelle! - Laisse-moi tran quille, répondait-il d'un ton bourru. Comment vas-tu? Tu veux m'attraper encore. Hein! comme il a plu hier! - Bon, bon. Et comme il fait beau aujourd'hui ! Qui, cherche! on ne s'y | che ne vous perdra pas vous, laisse plus prendre. (Brazier, Petits theatres.) vous dis. >> ་ Lorsque l'usurier agonisant dit au prêtre qui l'exhorte et qui lui met entre les mains un crucifix d'argent : « Ce crucifix, en conscience je ne saurais prêter làdessus plus de trente-deux livres; encore faut-il m'en passer un billet de vente. » Que de ramages divers! combien de cris discordants dans la seule forêt qu'on appelle société ! Celui-ci dit au prêtre qui lui annonçait la visite de son Dieu : « Je le reconnais à sa monture (1); c'est ainsi qu'il entra à Jérusalem. >> Celui-là, moins caustique, s'épargne dans ses derniers moments l'ennui de l'exhortation du vicaire qui l'avait administré, en lui disant : «< Monsieur, ne vous serai-je plus bon à rien?... » Voilà le caractère. L'homme-singe est sans caractère ; il a toutes sortes de cris : « Cette démar (1) On a prété ce mot à Rabelais. mais elle perdra votre ami. Hé! que m'importe, pourvu qu'elle me sauve ! Mais votre ami? Mon ami tant qu'il vous plaira; hoi, d'abord.... » — « Croyez-vous, monsieur l'abbé, que madame Geoffrin vous reçoive chez elle avec grand plaisir ? Qu'est-ce que cela me fait, pourvu que je m'y trouve bien! » Voilà le cri de l'homme personnel. « J'ai contracté ce pacte avec vous, mais je vous annonce que je ne le tiendrai pas. Et pourquoi, s'il vous plaît ?Parce que je suis le plus fort. >> Le cri de la force est encore un des cris de la nature. « Vous penserez que je suis un infàme, je m'en moque. » Voilà le cri de l'impudence. Un abbé de Cannaye fit une petite satire bien amère et bien gaie des ouvrages de son ami Rémond de Saint-Marc. Celui-ci, qui ignorait que l'abbé fût l'auteur de la satire, se plaignait un jour de cette malice à une de leurs communes amies. Tandis que Saint-Marc, qui avait la peau tendre, se lamentait outre mesure d'une piqûre d'épingle, l'abbé, placé derrière lui, et en face de la dame, s'avouait auteur de la satire, et se moquait de son ami en tirant la langue. Les uns disaient que le procédé de l'abbé était malhonnête; d'autres n'y voyaient qu'une espiéglerie. Cette question fut portée au tribunal de l'érudit abbé Feruel, dont on ne put jamais obtenir d'autre décision, sinon c'était un usage chez les anciens Gaulois de tirer la langue... Que conclurez-vous de là? Que l'abbé de Cannaye était un méchant; je le crois: que l'autre abbé était un sot; je le nie; c'était un homme qui avait consumé ses yeux et sa vie à des recherches d'érudition, et qui ne voyait rien dans ce monde de quelque importance, à côté de la restitution d'un passage, ou de la découverte d'un ancien usage. C'est le pendant du géomètre qui, fatigué des éloges dont la capitale retentisait lorsque Racine donna son Iphigénie, voulut lire cette Iphigénie, si vantée: il prend la pièce; il se retire dans un coin; il lit une scène, deux scènes ; à la troisième il jette le livre en disant : « Qu'est-ce que cela prouve? » C'est le jugement et le mot d'une personne accoutumée dès ses jeunes ans à écrire au bout de chaque page: « Ce qu'il fallait démontrer. » On se rend ridicule, mais on n'est ni ignorant, ni sot, pour ne voir jamais que la pointe de son clocher. Me voilà tourmenté d'un vomissement périodique; je verse des flots d'une eau caustique et limpide ; je m'effraie, j'appelle Thierri. Le docteur regarde en souriant le fluide que j'avais rendu par la bouche, et qui remplissait toute une cuvette : « Eh bien, docteur, qu'est-ce qu'il y a ? - Vous êtes trop heureux; vous nous avez restitué la pituite vitrée des anciens, que nous avions perdue. Lorsqu'un monarque qui commande lui-même ses armées, dit à ses officiers qui avaient abandonné une attaque où ils auraient tous perdu la vie sans aucun avantage : «Est-ce que vous êtes faits pour autre chose que pour mourir? » il dit un mot du métier. Lorsque des grenadiers sollicitent auprès de leur général la grâce d'un de leurs braves camarades surpris en maraude, et lui disent : « Notre général, remettez-le entre nos mains; nous savons punir plus sévèrement un grenadier; il n'assistera point à la première bataille que vous gagnerez,» ils ont l'éloquence de leur métier, éloquence sublime! Sire, et la bombe! Qu'a de commun la bombe avec ce que je vous dicte? - «Le boulet a emporté la timbale, mais le riz n'y était pas. » — C'est un roi qui a dit le premier de ces mots; c'est un soldat, qui a dit le second: ils sont l'un et l'autre d'une âme forte. En 1763, dans l'affaire du pamphlétaire Varenne, sur laquelle il avait fait les remontrances les plus fortes, obligé d'entériner les lettres de grâce, qui étaient accordées contre toute espèce de droit et de justice, Malesherbes prononça de son tribunal ces paroles remarquables aux accusés qui étaient à ses pieds : « Le roi vous accorde des lettres de grâce, la cour les entérine, retirez-vous; la peine vous est remise, mais le crime vous reste. >> (Cousin d'Avallon, Malesherbiana.) Crinoline. : Passons au mot du célèbre Muret. Muret tombe malade en voyage; il se fait porter à l'hôpital; on le place dans un lit voisin du grabat d'un malheureux attaqué d'une de ces infirmités qui rendent l'art perplexe. Les médecins et les chirurgiens délibèrent sur son état; un des consultants propose une opération qui pouvait également être salutaire ou fatale; les Voici un mot que j'ai noté au théâtre avis se partagent; on inclinait à livrer le malade à la décision de la nature, lors-modité sont généralement connues et apdu Palais-Royal, dont l'exiguïté et l'incomqu'un plus intrépide dit : « Faciamus experimentum in anima vili. » Voilà le cri de la bête féroce. Mais d'entre les rideaux qui entouraient Muret, s'élève le cri de l'homme, du philosophe, du chrétien: «< Tanquam foret anima vilis, illa pro qua Christus non dedignatus est mori (1). » Ce mot empêcha l'opération, et le malade guérit. (1)« Faisons une expérience sur une àme vile. préciées. J'étais au premier rang de l'orchestre; la porte d'une avant-scène du rez-dechaussée s'entr'ouvre un jeune homme et une jeune femme apparaissent sur le seuil. Ces avant-scènes sont des boîtes de do - Comme si l'on pouvait appeler vile une âme pour laquelle le Christ n'a pas dédaigné de mou. rir! |