voyage. On dit que celui qui le gardera à Pignerol est un fort honnête homme. Dieu le veuille! ou pour mieux dire, Dieu le garde ! Il l'a protégé si visiblement, qu'il faut croire qu'il en a un soin tout particulier. La Forêt, son défunt écuyer, l'aborda comme il s'en alloit; il lui dit: Je suis ravi de vous voir, je sais votre fidélité et votre affection: dites à nos femmes qu'elles ne s'abattent point, que j'ai du courage de reste, et que je me porte bien. En vérité, cela est admirable. Adieu, mon cher Monsieur, soyons comme lui, ayons du courage, et ne nous accoutumons point à la joie que nous donna l'admirable arrêt de samedi. 1 Madame de Grignan, (Angélique-Claire d'Angennes, première femme de M. de Grignan,) est morte. Vendredi au soir. Il me semble, par vos beaux remercîmens, que vous me donniez mon congé, mais je ne le prends pas encore. Je prétends vous écrire quand il me plaira; et dès qu'il y aura des vers du Pont-neuf et autres, je vous les enverrai fort bien. Notre cher ami est par les chemins. Il a couru un bruit qu'il étoit bien malade; tout le monde disoit: Quoi! déjà..... On disoit encore que M. d'Artagnan avoit envoyé demander à la Cour ce qu'il feroit de son prisonnier walade, et qu'on lui avoit répondu durement, qu'il le menât toujours, en quelque état qu'il fût. Tout cela est faux; mais on voit par là ce TOME I. E qu'on a dans le cœur, et combien il est dangereux de donner des fondemens sur quoi on augmente tout ce qu'on veut. Pecquet et Lavalée sont toujours à la Bastille: en vérité, cette conduite est admirable. On recommencera la Chambre après les Rois. Je crois que les pauvres exilés sont arrivés présentement à leur gîte. Quand notre ami sera au sien, je vous le manderai; car il le faut mettre jusqu'à Pignerol; et plût à Dieu que de Pignerol nous le puissions faire venir où nous voudrions bien * ! Et vous, mon pauvre Monsieur, combien durera encore votre exil? J'y pense bien souvent. Mille complimens à M. votre père. On m'a dit que Madame votre femme est ici, je l'irai voir. J'ai soupé hier avec une de nos amies, nous parlâmes de vous aller voir. * Fouquet mourut en 1680 dans sa prison, (selon l'opinion commune.) Voy. le Siècle de Louis XIV, et la note de la Lettre du 3 Avril 1680. LETTRE 29." Du Comte DE BUSSY à Madame DE SÉVIGNIA à Forléans, ce 21 Novembre 1666. Je fus hier à Bourbilly. * Jamais je n'ai été si surpris, ma belle cousine. Je trouvai cette maison belle; et quand j'en cherchai la raison, après le mépris que j'en avois fait il y a deux ans, il me * Cette terre appartenoit à Madame de Sévigné, de son chef. sembla que cela venoit de votre absence. En effet, vous et Mademoiselle de Sévigné enlaidissez ce qui vous environne, et vous fites ce tour-là, il ya deux ans, à votre maison. Il n'y a rien de si vrai; et je vous donne avis que si vous la vendez jamais, vous fassiez ce marché par procureur, car votre présence en diminueroit fort le prix. ود En arrivant, le Soleil, qu'on n'avoit pas vu depuis deux jours, commença de paroître; et lui et votre fermier firent fort bien l'honneur de la maison; celui-ci en me faisant une bonne collation, et l'autre en dorant toutes les chambres, que les Christophles et les Guis s'étoient contentés de tapisser de leurs armes. J'y étois allé en famille qui fut aussi satisfaite de cette maison que moi. Les Rabutins vivans voyant tant d'écussons, s'estiIpaper mèrent encore davantage, connoissant par-là le cas que les Rabutins morts faisoient de leur maison. Mais l'éclat de rire nous prit à tous, quand nous vîmes le bon homme Christophle à genoux, qui, après avoir mis ses armes en mille endroits et en mille manières différentes, s'en étoit fait faire un habit. Il est vrai que c'est pousser l'amour de son nom aussi loin qu'il peut aller. Vous croyez bien, ma belle cousine, que Christophle avoit un cachet, et que ses armes étoient sur sa vaisselle, sur les housses de ses chevaux, et sur son carrosse. Pour moi, j'en mettrois mes mains dans le feu. 2. LETTRE 30. De Madame DE SÉVIGNÉ au Comte DE BUSSY. à Paris, ce 20 Mai 1667. Je reçus une lettre de vous en Bretagne, mon cher cousin, où vous me parliez de nos Rabutins, et de la beauté de Bourbilly. Mais comme on m'avoit écrit d'ici qu'on vous y attendoit, et que je croyois moi-même y arriver plutôt, j'ai toujours différé à vous faire réponse jusqu'à présent que j'ai appris que vous ne viendrez point ici. Vous savez qu'il n'est plus question que de guerre. Toute la Cour est à l'armée, et toute l'armée est à la Cour. Paris est un désert; et désert pour désert, j'aime beaucoup mieux celui de la forêt de Livry, où je passerai l'été, 2 En attendant que nos guerriers Voilà deux vers. Cependant je ne sais si je les savois déjà, où si je les viens de faire. Comme la chose n'est pas d'une fort grande conséquence, je reprendrai le fil de ma prose. J'ai bien senti mon cœur pour vous, depuis que j'ai vu tant de gens empressés à commencer ou à recommencer un métier que vous avez fait avec tant d'honneur, dans le tems que vous avez pu vous en mêler. C'est une chose douloureuse à un homme de courage, d'être chez soi quand il y a tant de bruit en Flandres *. * Bussy étoit exilé dans ses terres. (Voy. ce qui en a été dit dans la Vie de Madame de Sévigné.) Comme je ne doute point que vous ne sentiez sur cela tout ce qu'un homme d'esprit, et qui a de la valeur, peut sentir, il y a de l'imprudence à moi de repasser sur un endroit si sensible. J'espère que vous me pardonnerez par le grand intérêt que j'y prends. On dit que vous avez écrit au Roi. Envoyez-moi la copie de votre lettre, et me mandez un peu des nouvelles de votre vie, quelles sortes de choses vous peuvent amuser, et si l'ajustement de votre maison n'y contribue pas beaucoup. Pour moi, j'ai passé l'hiver en Bretagne, où j'ai fait planter une infinité de petits arbres, et un labyrinthe d'où l'on ne sortira pas sans le fil d'Ariane. J'ai encore acheté plusieurs terres, à qui j'ai dit, à la manière accoutumée: Je vous fais parc. De sorte que j'ai étendu mes promenoirs sans qu'il m'en ait coûté beaucoup. Ma fille vous fait mille amitiés. J'en fais autant à toute votre famille. LETTRE 31. Au même. à Paris, ce 3 Juin 1668. Je vous ai écrit la dernière: pourquoi ne m'avezvous pas fait de réponse? Je l'attendois, et j'ai compris à la fin que le proverbe Italien disoit vrai: Chi offende, non perdona. Madame d'Assigny m'a dit qu'il vous étoit tombé une |