Page images
PDF
EPUB

Vous aurez M. de Vardes quand vous recevrez cette lettre : mandez-moi si sa patience n'est point usée, s'il doit sa constance à la philosophie ou à l'habitude; enfin, parlez-moi de lui. J'ai reçu une lettre du Marquis de Charôt toute pleine d'amitiés : il me parle de Madame de Brissac *, et me mande qu'il vous a écrit. Je vous prie, cruauté à part, de ļui faire réponse: vous savez qu'il n'est bon qu'à ménager, et point du tout à mépriser; il est vieux comme son père, et ne comprendroit point l'honneur qu'on lui feroit, en lui refusant une réponse. On me mande que le Comte d'Ayen épouse Mademoiselle de Bournonville; Matame te Lutre en est enrazée.

Vous me dites, dans votre lettre, qu'il faudra songer au moyen de vous envoyer votre fille ; je vous prie de n'en point charger d'autre que moi, qui vous la menerai assurément, si la nourrice le veut bien; toute autre voiture me donneroit beaucoup de chagrin. Je regarde comme un amusement tendre et agréable de la voir cet hiver au coin de mon feu: je vous conjure, ma fille, de me laisser prendre ce petit plaisir; j'aurai d'ailleurs de si vives inquiétudes pour vous, qu'il est juste que, dans les jours où j'aurai quelque repos, je trouve cette espèce de consolation. Voilà donc qui est fait, nous parlerons de son voyage quand je serai sur le point de faire le mien. Je viens d'en faire un de mon petit galimatias, c'est-à-dire, mon labyrinthe, où votre aimable idée m'a tenu fidèle compagnie: je vous avoue que c'est un de mes plaisirs de me promener toute seule; on trouve quelques labyrinthes de pensées dont on a peine à sortir; mais enfin on a du moins la liberté de penser à ce que l'on veut. Adieu, ma chère petite.

* La Duchesse de Brissac étoit sœur du Duc de Saint-Simon dont on connoît les piquans Mémoires. On verra dans la suite de ces Lettres que cette Dame étoit très-coquette. On l'excusoit à cause des mauvais procédés de son mari, et plus encore à cause de sa beauté.

[blocks in formation]

Aux Rochers, dimanche 2 Août 1671.

QUE dites-vous des nouvelles de cette semaine? Nous ne demandons que plaie et bosse: mais, en vérité, je trouve que cette fois il y en a trop. La mort de M. du Mans (1) m'a assommée; je n'y avois jamais pensé, non plus que lui; et de la manière dont je le voyois vivre, il ne me tomboit pas dans l'imagination qu'il pût mourir: cependant le voilà mort d'une petite fièvre, sans avoir eu le tems de songer ni au ciel, ni à la terre; il a passé ce tems-là à s'étonner; il est mort subitement de la fièvretierce. La Providence fait quelquefois des coups d'autorité qui me plaisent assez : mais il en faudroit profiter. Et ce pauvre Lenet qui est mort aussi,

(1) Philibert-Emmanuel de Beaumanoir, Commandeur des Ordres du Roi, mort le 27 Juillet 1671.

[blocks in formation]

j'en suis fâchée *. Ah! que j'aurois été contente si la nouvelle de Madame de L....** étoit venue toute seule! c'est bien employé; sa sorte de malhonnêteté étoit une infamie si scandaleuse, qu'il y a long-tems que je l'avois chassée du nombre des mères : tous les jeunes gens de la Cour ont pris part à sa disgrâce; elle ne verra point sa fille; on lui a ôté tous ses gens: voilà tous les amans bien écartés.

Vous avez présentement le grand Chevalier, embrassez-le pour moi, et le Coadjuteur aussi; mais dites à ce dernier que je le prie de ne me point écrire, qu'il garde sa main droite pour jouer au brelan : ce n'est pas que je n'aime ses lettres, mais j'aime encore mieux son amitié : je connois son humeur; il est impossible qu'il écrive sans qu'il en coûte à ceux à qui il écrit, et je trouve que c'est acheter trop cher une lettre, quand c'est au prix d'une partie de sa tendresse. Nous concluons incessamment que s'il écrivoit deux fois la semaine à quelqu'un, il le haïroit bientôt à la mort.

* Pierre Lenet, Procureur-Général au Parlement de Dijon. Confident et ami du Grand-Condé, il joua un rôle dans les troubles de la Fronde. Il a laissé des Mémoires sur la guerre civile depuis 1649, Mémoires plus curieux que lus, dit Voltaire.

** C'est Madame de Lionne, femme du Secrétaire d'État. On peut voir dans l'Histoire amoureuse des Gaules les scandaleş qui la firent mettre dans un couvent. Sa fille étoit Madame de Cœuvres. On trouva (dit la Chronique) M. de Saulx couché entre ces deux Dames. Son mari mourut peu de tems après, ex elle rentra dans le monde.

!

:

:

LETTRE 122.

A la même.

Aux Rochers, mercredi 5 Août 1671...

Je suis bien aise que M. de Coulanges vous ait mandé les nouvelles. Vous apprendrez encore la mort de M. de Guise, dont je suis accablée quand je pense à la douleur de Mademoiselle de Guise. Vous jugez bien, ma fille, que ce ne peut être que par la force de mon imagination que cette mort m'inquiète, car, du reste, rien ne troublera moins le repos de ma vie. Vous savez comme je crains les reproches qu'on peut se faire à soi-même. Mademoiselle de Guise n'a rien à se reprocher que la mort de son neveu; elle n'a jamais voulu qu'il ait été saigné; la quantité du sang a causé le transport au cerveau: voilà une petite circonstance bien agréable. Je trouve que dès qu'on tombe malade à Paris, on tombe mort: on n'a jamais rien vu de pareil.

Vous aurez maintenant des nouvelles de nos Etats, pour votre peine d'être Bretonne. M. de Chaulnes arriva dimanche au soir, au bruit de tout ce qui peut en faire à Vitré : le lundi matin il m'écrivit une lettre; j'y fis réponse pour aller dîner avec lui. On mange à deux tables dans le même lieu; il y a quatorze couverts à chaque table; Monsieur en tient une, et Madame l'autre. La bonne chère est excessive, on remporte les plats de rêti tout entiers; et pour les pyramides de fruits, il faut faire hausser les portes. Nos pères ne prévoyoient pas ces sortes de machines, puisque même ils ne comprenoient pas qu'il fallût qu'une porte fût plus haute qu'eux. Une pyramide veut entrer, une de ces pyramides qui font qu'on est 'obligé de s'écrire d'un bout de la table à l'autre; mais bien loin que cela blesse ici, on est souvent fort aise au contraire de ne plus voir ce qu'elles cachent; cette pyramide donc, avec vingt ou trente porcelaines, fut si parfaitement renversée à la porte, que le bruit en fit taire les violons, les hautbois et les trompettes. Après le dîner, MM. de Lomaria et Coëtlogon dansèrent avec deux Bretonnes des passepieds merveilleux, et des menuets, d'un air que les courtisans n'ont pas à beaucoup près: ils y font des pas de Bohémiens et de Bas-Bretons avec une délicatesse et une justesse qui charme. Je pensois toujours à vous, et j'avois un souvenir si tendre de votre danse, et de ce que je vous avois vu danser, que ce plaisir me devint une douleur. Je suis assurée que vous auriez été ravie de voir danser Lomaria: les violons et les passe-pieds de la Cour font mal au cœur au prix de ceux-là; c'est quelque chose d'extraordinaire que cette quantité de pas différens et cette cadence courte et juste, je n'ai point vu d'homme danser comme Lomaria cette sorte de danse. Après ce petit bal, on vit entrer tous ceux qui arrivoient en foule pour ouvrir les Etats. Le lendemain, M. le Premier-Président, MM. les

« PreviousContinue »