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bonne heure; je vais, je viens, j'entre en colère, j'en sors, je prie Dieu, je l'offense, et comme cela, les jours ne me durent rien.

Aussitôt que j'aurai mon congé, j'irai à Compiegne faire ma cour; et si je dois servir cet hiver sur la frontière, je serai bien pressé de partir, si je ne vais pas vous dire adieu; en tout cas, je vous écrirai, Madame, et partout je vous aimerai de

tout mon cœur.

Mes amitiés, je vous prie, à tous mes rivaux, fussent-ils quatre fois autant qu'ils ne sont.

LETTRE 16.

De Madame DE SÉVIGNÉ au Comte DE BUSSY."

à Paris, ce 25 Novembre 1655.

Vous faites bien l'entendu, M. le Comte ; sous ombre que vous écrivez comme un petit Cicéron, vous croyez qu'il vous est permis de vous moquer des gens ; à la vérité, l'endroit que vous avez remarqué m'a fait rire de tout mon cœur; mais je suis étonnée qu'il n'y eût que cet endroit de ridicule; car, de la manière dont je vous écrivis, c'est un miracle que vous ayez pu comprendre ce que je voulois dire; et je vois bien qu'en effet, vous avez de l'esprit, ou que ma lettre est meilleure que je ne pensois : quoi qu'il en soit, je suis bien aise que vous ayez profité de l'avis que je vous donnois.

• On m'a dit que vous sollicitiez de demeurer sur la frontière: comme vous savez, mon pauvre Comte, que je vous aime un peu rustaudement, je voudrois qu'on vous l'accordât; car on dit qu'il n'y a rien qui avance tant les gens, et vous ne doutez pas de la passion que j'ai pour votre fortune; ainsi, quoi qu'il puisse arriver, je serai contente. Si vous demeurez, l'amitié solide y trouvera son compte, si vous revenez, l'amitié tendre sera satisfaite.

Madame de Roquelaure est revenue tellement belle, qu'elle défit hier le Louvre à plate couture: ce qui donne une si terrible jalousie aux belles qui y sont, que par dépit on a résolu qu'elle ne seroit pas des après-soupers, qui sont gais et galans, comme vous savez. Madame de Fiennes voulut l'y faire demeurer hier; mais on comprit par la réponse de la Reine, qu'elle pouvoit s'en retourner.

Adieu, et sur-tout croyez, mon cousin, que je suis la plus fidèle amie que vous ayez au monde.

LETTRE 17.

Du Comte DE BUSSY à Madame DE SÉVIGNĖ." Au Camp de Blecy, le 4 Août 1657.

VOTRE lettre est fort agréable, ma belle cousine; elle m'a fort réjoui. Qu'on est heureux d'avoir une bonne amie, qui ait autant d'esprit que vous! Je ne vois rien de si juste que ce que vous écrivez. Quelque complaisance que je vous doive, Madame, vous savez que je parle assez franchement, pour ne pas vous le dire, si je ne le croyois, et vous ne doutez pas que je ne m'y connoisse un peu, puisque j'ose bien juger des ouvrages de Chapelain, et que je censure quelquefois assez justement ses pensées et ses paroles. Je vous envoie copie de la lettre que j'ai écrite à la Marquise de.... Elle me mande que si j'aime les grands yeux et les dents blanches, elle aime de son côté les gens tendres et les amoureux transis; et que ne me trouvant pas tel, je me tienne pour éconduit: elle revient après, et sur ce que je lui mande que je la quitterai, si elle me rebute, et qu'à moins de se déguiser en Maréchale pour me surprendre, elle ne m'y rattrapera plus; elle me répond que je ne me désespère point, et me promet de se rendre, quand elle sera parvenue à la dignité pour laquelle, à ce qu'elle dit, on la mange jusqu'aux os.

J'ai gagné huit cens louis d'or depuis quatre jours; si je n'en gagne pas davantage, c'est que l'on appréhende ma fortune: je ne trouve plus de gens qui veulent jouer contre moi.

Voulez-vous savoir la vie que nous faisons, Madame? Je m'en vais vous la dire. Quand l'armée marche, nous travaillons comme des chiens; quand elle séjourne, il n'y a pas de fainéantise égale à la nôtre. Nous poussons toujours les affaires aux extrémités. On ne ferme pas l'œil trois ou quatre jours durant, ou bien, on est trois ou quatre jours sans sortir du lit; on fait fort bonne chère, ou l'on meurt de faim. Je suis, etc.

LETTRE 18.

De Madame DE SÉVIGNE à M. DE POMPONE.

Les Lettres qui suivent et qui concernent l'Affaire de Fouquet, ont été adressées au Marquis de Pompone, celui qui depuis fut Ministre des Affaires Étrangères.

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Le procès de Fouquet n'est pas l'événement le moins curieux et le moins intéressant du règne de Louis XIV. Le projet de le perdre fut tramé avec un art si odieux, et la conduite de ses ennemis, dont plusieurs étoient ses Juges, fut si passionnée, qu'on s'intéresseroit pour lui, quand même il eût été plus coupable qu'il ne l'étoit. Accusé et arrêté comme coupable du désordre des finances, il fut condamné au bannissement pour crime d'État. Son crime étoit un projet vague de résistance et de fuite dans les pays étrangers, qu'il avoit jeté sur le papier quinze ans auparavant, dans le tems où les factions de la Fronde partageoient la France, et où il croyoit avoir à se plaiudre de l'ingratitude de Mazarin. Ce projet, qu'il avoit absolument oublié, fut trouvé dans les papiers que l'on saisit chez lui.

On sait qu'on étoit parvenu à faire croire à Louis XIV que Fouquet pouvoit être à craindre. On lui donna une garde de einquante Mousquetaires pour le conduire à la citadelle de Pignerol, le Roi ayant converti le bannissement en prison perpétuelle. On craignoit qu'il ne lui restat des appuis formidables. Il lui resta Pélisson et La Fontaine; l'un le défendit avec éloquence, et l'autre pleura ses malheurs dans une Élégie très-belle et très-touchante, où il osa même demander sa grâce au Roi.

AUJOURD'HUI lundi 17 novembre 1664, M. Fouquet a été pour la seconde fois sur la sellette; il s'est assis sans façon comme l'autre fois. M. le Chancelier a recommencé à lui dire de lever la main: il a répondu qu'il avoit déjà dit les raisons. qui l'empêchoient de prêter le serment. Là-dessus M. le Chancelier s'est jeté dans de grands discours, pour faire voir le pouvoir légitime de la Chambre; que le Roi l'avoit établie, et que les commissions avoient été vérifiées par les Compagnies

souveraines.

M. Fouquet a répondu que souvent on faisoit des choses par autorité, que quelquefois on ne trouvoit pas justes, quand on y avoit fait réflexion.

M. le Chancelier a interrompu: Comment! vous dites donc que le Roi abuse de sa puissance? M. Fouquet a répondu : C'est vous qui le dites, Monsieur, et non pas moi: ce n'est point ma pensée, et j'admire qu'en l'état où je suis, vous me vouliez faire une affaire avec le Roi; mais Monsieur, vous savez bien vous-même qu'on peut être surpris. Quand vous signez un arrêt, vous le croyez juste, le lendemain vous le cassez vous voyez qu'on peut changer d'avis et d'opinion.

Mais cependant, a dit M. le Chancelier, quoique vous ne reconnoissiez pas la Chambre, vous lui répondez, vous lui présentez des requêtes, et vous voilà sur la sellette. Il est vrai, Monsieur, a-t-il répondu, j'y suis, mais je n'y suis pas par ma volonté; on m'y mène; il y a une puissance à laquelle il faut obéir, et c'est une mortification que Dieu me fait souffrir, et que je reçois de sa main; peut-être pouvoit-on bien me l'épargner après les services que j'ai rendus et les charges que j'ai en l'honneur d'exercer.

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