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des réponses qui m'ôteroient le plaisir de vous mander des bagatelles. Aimez-moi toujours, mon cher Comte, je vous quitte d'honorer ma grand'maternité; mais il faut m'aimer, et vous assurer que vous n'êtes aimé en nul lieu du monde si chèrement qu'ici.

Ne manquez pas d'écrire à Madame de Brissac (1), je l'ai vue aujourd'hui; elle est très-affligée : elle m'a parlé du déplaisir qu'elle croit que vous aurez en apprenant la mort de sa mère.

M. de Foix est quelquefois à l'extrémité, quelquefois mieux; je ne répondrai point cette année de la vie de ceux qui ont la petite-vérole.

Il y a ici un jeune fils du Landgrave de Hesse, qui est mort de la fièvre continue sans avoir été saigné: sa mère lui avoit recommandé en partant de ne point se faire saigner à Paris; il ne s'est point fait saigner, il est mort.

Noirmoutier est aveugle sans ressource; Madame de Grignan peut reprendre toutes les vieilles réflexions qu'elle avoit faites là-desus *. La Cour est ici, et le Roi s'y ennuie à tel point, qu'il ira toutes les semaines trois ou quatre jours à Versailles.

Le Maréchal de la Ferté dit ici des choses nonpareilles; il a présenté à sa femme le Comte de Saint-Paul (2) et le petit Bon (3) en qualité de

(1) Gabrielle-Louise de Saint-Simon, Duchesse de Brissac, fille de Claude, Duc de Saint-Simon, et de Diane-Henriette de Budos.

* Voyez ci-devant la lettre 49, pag. 94.

(2) Depuis Duc de Longueville.

(3) Le Comte de Fiesque.

jeunes gens qu'il faut présenter aux Dames. Il fit des reproches au Comte de Saint-Paul d'avoir été si long-tems sans l'être venu voir. Le Comte a répondu qu'il étoit venu plusieurs fois chez lui, qu'il falloit donc qu'on ne lui eût pas dit *.

* Voyez l'Histoire amoureuse des Gaules.

LETTRE 53.

De Madame DE SÉVIGNÉE À M. DE COULANGES.

à Paris, lundi 15 Décembre 1670.

Em'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'à aujourd'hui, la plus brillante, la plus digne d'envie; enfin une chose dont on ne trouve qu'un exemple dans les siècles passés, encore cet exemple n'est-il pas juste; une chose que nous ne saurions croire à Paris, comment la pourroit-on croire à Lyon? une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde; une chose qui comble de joie Madame de Rohan et Madame d'Hauterive; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à vous la dire, devinez-la, je vous le donne en trois; jetez-vous votre langue aux chiens? Hé bien! il faut donc vous la dire. M. de Lauzun (1) épouse dimanche au Louvre, devinez qui? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en six, je vous le donne en cent. Madame de Coulanges dit : Voilà qui est bien difficile à deviner; c'est Madame de la Valière. Point du tout, Madame. C'est donc Mademoiselle de Retz? Point du tout, vous êtes bien provinciale. Ah! vraiment nous sommes bien bêtes, dites-vous, c'est Mademoiselle Colbert. Encore moins. C'est assurément Mademoiselle de Créqui. Vous n'y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire: il épouse dimanche au Louvre, avec la permission du Roi, Mademoiselle, Mademoiselle de...... Mademoiselle, devinezlenom; il épouse Mademoiselle, la grande Mademoiselle, Mademoiselle, fille de feu MONSIEUR (2), Mademoiselle, petite-fille de HENRI IV, Mademoiselle d'Eu, Mademoiselle de Dombes, Mademoiselle de Montpensier, Mademoiselle d'Orléans, Mademoiselle, cousine germaine du Roi, Mademoiselle, destinée au trône, Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de MONSIEUR. Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu'on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer; si enfin vous

(1) Antoine Nompar de Caumont, Marquis de Peguilhem, depuis Duc de Lauzun.

(2) Gaston de France, Duc d'Orléans, frère de Louis XIII..

nous dites des injures, nous trouvons que vous avez raison; nous en avons fait autant que vous. Adieu; les lettres qui seront portées par cet ordinaire, vous feront voir si nous disons vrai ou non.

LETTRE 54.

De Madame DE SÉVIGNÉ au Comte DE BUSSY.

à Paris, ce 19 Décembre 1670.

VOILA M. de Pompone à qui je parlois de vous avec plaisir et déplaisir. Je ne vous fais pas valoir la douleur que j'ai de l'état de votre fortune : ce seroit vouloir excroquer des reconnoissances. Quand je vois des gens fort heureux, je suis au désespoir. Cela n'est pas d'une belle ame; mais le moyen aussi de souffrir des coups de tonnerre de bonheur? Je vous remercie de votre compliment sur l'accouchement de ma fille, c'en est trop pour une troisième fille de Grignan. J'aime fort que vous vous amusiez à notre belle et ancienne Chevalerie, cela me fait un plaisir extrême. La lettre que vous me faites l'honneur de m'écrire pour me dédier notre généalogie, est trop aimable et trop obligeante. Il faudroit être parfaite, c'est-à-dire, n'avoir point d'amour-propre, pour n'être pas sensible à des louanges si bien assaisonnées. Elles sont même choisies, et tournées d'une manière que si l'on n'y prenoit garde, on se laisseroit aller à la douceur de croire en mériter une partie, quelque exagération qu'il y ait. Vous devriez, mon cher cousin, avoir toujours été dans cet aveuglement, puisque je vous ai toujours aimé, et que je n'ai jamais mérité votre haine. N'en parlons plus; vous réparez trop bien le passé, et d'une manière si noble et si naturelle, que je veux bien présentement vous en devoir le reste. Adieu, Comte. C'est grand dommage que nos étoiles nous aient séparés. Nous étions bien propres à vivre dans une même ville: nous nous entendons, ce me semble, à demi-mot. Je ne me réjouis pas bien sans vous; et si je ris, cela ne passe pas le nœud de la gorge. M. de Pompone me paroît passionné pour vous. Je voudrois bien, comme dit le Maréchal de Grammont, que ce qu'il a dans la tête pour vous, pût passer dans une autre tête que je dirois bien.

LETTRE 55.

Madame DE SÉVIGNĖ à M. DE COULANGES.

à Paris, vendredi 19 Décembre 1670.,

c'est

Ce qui s'appelle tomber du haut des nues ce qui arriva hier au soir aux Tuileries; mais il faut reprendre les choses de plus loin. Vous en êtes à la joie, aux transports, aux ravissemens de la Princesse, et de son bienheureux amant. Ce fut donc lundi que la chose fut déclarée, comme je vous l'ai mandé. Le mardi se passa à parler, à s'étonner, à complimenter. Le mercredi, Mademoiselle fit une donation à M. de Lauzun, avec dessein

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