a des avantages accessoires qu'il faut développer. 1°. Il nous fait suivre Madame de Sévigné depuis l'année 1647 jusqu'en 1696, époque de sa mort. Pendant ce demi-siècle, nous la voyons jeune femme, jeune mère, sur-tout jeune veuve, et gagnant à être connue sous ces nouveaux rapports. Plus loin, dans les Lettres sur Fouquet, elle se montre animée du zèle de l'amitié fidèle au malheur: en sorte que vous êtes déjà entré en connoissance avec son singulier talent, lorsque arrive l'époque où sa plume est conduite par sa passion dominante, l'amour maternel, dont elle est l'héroïne, comme Héloïse le fut d'une affection moins pure et moins généralement touchante. De plus, les intervalles où la mère et la fille se trouvoient réunies, formoient dans la correspondance d'assez grands vuides (1), qui sont ici comblés en partie, par l'insertion des Lettres à ses amis, ou de leurs réponses, dans l'ordre chronologique; en sorte que vous ne la perdez presque point de vue, et que vous trouvez comme sa vie entière écrite par elle (1) Les deux années, depuis la fin de 1677 jusqu'à celle de 1679, sont dans ce cas. Une trentaine de Lettres à Bussy ou de Bussy éclairent, pour ainsi dire, tous les points de cet intervalle. Il en est de même des années 1681, 82 et 83, ainsi que de 1686, 87 et 88 même ou par ses amis. Ce mérite de liaison se fait aussi sentir dans la partie anecdotique de ses Lettres; et l'on en suit mieux l'histoire du tems, ainsi que l'histoire de la personne. La seule classification produit donc ici naturellement ce que l'art a su opérer dans les romans par lettres, où les personnages secondaires sont appelés pour entretenir notre commerce avec les principaux, quand ceuxci semblent se dérober à nous par le concours des événemens. 2o. S'il est vrai, comme nous l'avons remarqué, que l'esprit profite, autant qu'il jouit, dans la comparaison des styles, l'ordre nouveau doit relever singulièrement le style de Sévigné. Son trait distinctif est, si je ne me trompe, le rare accord d'un goût très-cultivé avec une imagination très-riche et un naturel très-original, dons précieux qu'elle unit à un degré que La Fontaine même ne surpasse point. Personne ne se livre plus entièrement au Lecteur, avec moins de déguisement, avec moins de parure. Vous la voyez, vous la signalez, vous ne la confondrez avec nulle autre. Lorsque le Saint-Evremont étoit de mode, en faisoit qui vouloit : on ne s'est point avisé de fabriquer du Sévigné. Mais c'est parce qu'elle ne ressemble point à d'autres, qu'on s'accoutume à elle. De ce que son langage et sa physionomie lui sont tellement propres, il en résulte qu'on finit par s'en étonner moins qu'on ne doit, par sentir moins ce singulier mérite. Aussi, comme certains objets qui se mesurent par leurs rapports avec ceux qui les avoisinent, il semble que vous apprécierez mieux Sévigné si, tout à côté du sien, vous placez quelque autre esprit, si vous rencontrez des Lettres de diverses mains, semées parmi les siennes. 1 3o. On a quelquefois reproché à ces Lettres l'uniformité des sujets et sur-tout des sentimens. Cette tendresse maternelle, fonds inépuisable pour sa plume, ces effusions , ces louanges continues, ces plaintes, ces regrets, quelque riche et variée qu'en soit l'expression, ne captivent pas également tous les Lecteurs. Souvent ils y voudroient des repos, soit qu'ils sentent avec peine leur âme trop audessous de cette âme féconde, soit qu'en effet, dans ces Lettres, l'amour ne soit pas exempt de prolixité, ni l'enthousiasme d'exagération. Des écrits dictés par la simple amitié et d'un style plus calme, offrant une heureuse interruption à de tels épanchemens, satisferont ceux auxquels la diversité dans les nuances du sentiment ne suffit pas, et qui la veulent dans les sentimens eux-mêmes : et il faut avouer que ces Lecteurs font le grand nombre dans une société, où non-seulement les affections naturelles sont émoussées, mais où surtout on manque de loisir pour savourer la jouissance réfléchie qu'on trouveroit dans leurs développemens. Voilà comment l'ordre nouveau, en confondant les différentes correspondances de Madame de Sévigné, soit avec sa fille, soit avec ses amis, semble donner à toutes ses Lettres le seul genre de mérite qu'on y désiroit. Ainsi se répand un nouvel intérêt sur cet aimable livre, qui, déjà sûr de plaire, quelque volume qu'on en prît, à quelque page qu'on l'ouvrît, supportera mieux désormais d'être lu de suite, au lieu qu'il gagnoit quelquefois à être interrompu. III. Correction et éclaircissement du texte. Quelques personnes avoient pensé qu'il conviendroit de corriger un assez grand nombre de passages de ces Lettres, soit des phrases irrégulièrement construites soit d'autres fautes contre la langue, qui pouvant être mises sur le compte des copistes, sembloient de véritables trahisons dont il nous apparte , noit de venger notre Auteur. Mais la réflexion nous a fait voir plus d'un danger à cette entreprise. *Ceux qui lisent les premiers réformateurs de notre Langue, les Vaugelas, les Ménage, les Bouhours, s'étonnent de les voir hésiter sur certaines expressions, et ne condamner ou sanctionner qu'avec des précautions infinies des usages qui nous paroissent évidemment corrects ou vicieux. Là vous observez à quel point les Courtisans et les Littérateurs se partageoient sur telles ou telles phrases, et comment le savoir ou la mode ont prévalu tourà-tour. Madame de Sévigné écrivit dans cette jeunesse de la langue, et à l'époque où elle se fixoit sous la plume des maîtres. Comme elle vivoit également parmi les Gens de Lettres et parmi les gens de Cour, il faut croire qu'elle connut et suivit les meilleurs usages. Il semble donc qu'en essayant de réformer ce qui s'offriroit de fautif dans ses Lettres, on risqueroit de se méprendre sur des locutions usitées au moment où elle les employoit. Au contraire, l'histoire de la langue paroît intéressée à ce qu'on conserve ces vestiges de son perfectionnement progressif, tandis que l'intérêt de la grammaire n'en sauroit être compromis: première réflexion qui devoit nous |