bornées qu'on le pense ordinairement. Jaloux d'un ouvrage posthume qu'il publie, il doit se représenter sans cesse ce qu'auroit fait l'Auteur lui-même, si celui-ci avoit eu le tems d'y mettre la dernière main. Il est vrai que l'Editeur n'a jamais le droit de mêler quelque chose du sien dans l'ouvrage d'un autre : mais lui contesterat-on la liberté de supprimer ce qui ne lui paroît point également propre à voir le jour? Or, comme il s'agit de faire un choix, et que ce choix dépend de l'intelligence et du goût de l'Editeur, je conviendrai sans peine qu'il n'a manqué à la gloire de Madame de Sévigné qu'un Pélisson, pour lui rendre, après sa mort, les mêmes services qu'il rendit autrefois à Sarrazin, et que, de nos jours, l'Abbé Massieu a rendu à un Académicien de ses amis. Les admirables Préfaces de MM. Pélisson et Massieu peuvent elles seules dédommager le Public de n'avoir pas reçu des mains mêmes de Sarrazin et de Tourreil les excellentes productions qu'ils ont laissées. Mais, persuadé qu'on ne me soupçonnera pas de la sotte vanité de croire avoir réussi comme ces deux illustres Editeurs, je me contenterai de dire que j'ai du moins tâché de suppléer, par une application longue et assidue, à tout ce qui me manque d'ailleurs. Si Madame de Sévigné avoit prévu que ses Lettres seroient un jour imprimées, il est à présumer qu'elle y auroit mis, et plus d'art, et plus de soin. Mais est-il bien sûr qu'elle fût arrivée au point de perfection que l'on remarque dans ses Lettres, si, en les écrivant, elle ne s'étoit entièrement livrée à son naturel? Son style est d'autant plus épistolaire, qu'il est plus souvent négligé, et qu'elle n'a peut-être jamais songé à écrire une belle Lettre. Mais que ne fait-on point, même sans y penser, avec du génie, de l'esprit, et une imagination fertile et riante? Tout s'embellit sous la plume de Madame de Sévigné; tout y prend de la vie et de la couleur, et, 1 jusqu'à ses pensées les plus brillantes, il ne lui échappe rien qui ne semble être amené par un sentiment fin et délicat; ensorte que son esprit ne marche, pour ainsi dire, qu'à la suite de son cœur. Mais c'est trop m'arrêter sur un sujet au-dessous duquel je ne pourrois que demeurer, et je me hâte de rendre compte de la conduite que j'ai tenue dans cette seconde Edition. Toutes les Lettres nouvelles sont marquées en haut d'un astérique +; mais lorsque dans les anciennes il y a quelque article nouveau d'inséré, et qu'il est tant soit peu intéressant, l'astérique est placé selon le besoin, ou au commencement, ou dans le corps de la Lettre, et l'article est continué jusqu'au premier alinea. Si, au contraire, l'article est nouveau, il ne sera marqué d'aucun astérique. Mais pourquoi, dira-t-on, tant de choses nouvelles dans quelques-unes des Lettres qu'on a déjà vues? C'est qu'elles avoient été imprimées sur des copies imparfaites, et que les originaux m'en sont revenus dans la suite. Quant aux notes, les anciennes ont été presque toutes, ou changées, ou refondues, et le nombre en est d'ailleurs très-augmenté dans cette édition; de sorte que le Lecteur s'appercevra sans peine que rien n'a été oublié de ce qui pouvoit servir à l'intelligence des endroits qui avoient besoin d'éclaircissement. Ce n'est pas que je croie n'avoir rien laissé à désirer là-dessus; car outre plusieurs traits, dont la clef ne se pouvoit trouver que dans les Réponses de Madame de Grignan (1), j'avouerai qu'il y en a d'autres à l'explication desquels j'ai renoncé, lorsqu'il m'a paru que, pour les entendre, il falloit avoir vécu dans la société de Madame de Sévigné. Mais à l'égard des choses ou des faits qui étoient de nature à (1) On est persuadé que les Lettres de la fille à la mère n'existent plus, et qu'en 1734, c'est-à-dire, lorsque les quatre premiers Tomes des Lettres de Madame de Sévigné parurent, celles de Madame de Grignan furent sacrifiées à un scrupule de dévotion. s'expliquer les uns par les autres, j'ai eu soin, autant qu'il m'a été possible, de renvoyer aux différentes pages où il en est fait mention. Il me reste encore un mot à dire au sujet de la révision exacte que j'ai faite des Lettres anciennes sur les originaux. Elle étoit d'autant plus nécessaire, qu'elle m'a mis en état de restituer non-seulement bien des endroits qui avoient été supprimés, et d'en supprimer d'autres que j'ai jugés moins dignes de l'impression, mais aussi de corriger des fautes même essentielles qui s'étoient glissées jusque dans l'édition de Paris en six volumes, et que les différentes réimpressions avoient encore multipliées, au point que le texte en étoit souvent défiguré. Qu'il me soit donc permis d'assurer que cette seconde édition augmentée pourra se faire estimer encore du côté même de la correction. Je ne serois pas surpris néanmoins qu'elle déplût autant que la précédente à l'Auteur de certain Dictionnaire (1), qui semble n'y avoir compris les Lettres de Madame de Sévigné, qu'afin de les envelopper dans le discrédit où il s'est flatté de faire tomber un si grand nombre de nos meilleurs Livres de morale et de piété. Mais que peuvent les efforts d'un tel adversaire? Il est à peu près aussi avancé que le seroit quiconque auroit entrepris de prouver sérieusement que la lumière est moins désirable que les ténèbres. On a joint à cette nouvelle édition le Recueil du choix de Lettres qui a paru, il y a quelques années, en un seul volume in-12. Cet ouvrage fut donné pour servir de supplément à l'édition en 8 volumes qui venoit de paroître. Ce Recueil contient cent vingt-trois Lettres, qui, quoiqu'elles ne soient pas toutes de Madame de Sevigné, ont pourtant un tel rapport aux siennes, qu'elles n'en peuvent être divisées. (1) Voyez le Dictionnaire des Livres Jansénistes, page 57, tome II. 1 En effet, elles sont écrites, pour la plupart, dans le même tems, et par les mêmes personnes avec lesquelles Madame de Sévigné étoit liée d'une amitié particulière, et y servent comme de réponses. On y trouve même, comme dans l'édition en 8 volumes, plusieurs Anecdotes sur l'Histoire de Louis XIV, et on y reconnoît que c'est le même style. Plusieurs personnes ayant souhaité de trouver ce dernier Ouvrage incorporé dans le premier, c'est pour satisfaire à leurs justes et louables désirs, qu'on donne • aujourd'hui une nouvelle Edition de ces Lettres si estimées, et que l'on regarde à présent comme immortelles, dans laquelle ces nouvelles Lettres sont rangées par ordre chronologique, et sans cependant multiplier le nombre des volumes; ensorte que cette édition est beaucoup supérieure aux précédentes, non-seulement par cette augmentation considérable et très-intéressante, mais en core par sa beauté et par son exactitude. Sur la Vie et sur la Personne de Madame DE SEVIGNĖ, suivie de plusieurs articles sur ses principaux amis. PAR L'ÉDITEUR. IL n'est point de gloire plus contestée que celle des femmes, sans doute parce qu'on est trop peu d'accord sur l'excellence propre de ce sexe, sur sa vraie destination, et qu'à son égard, les hommes qui pensent, forment comme deux partis opposés. Les uus voudroient que cette aimable moitié du genre humain renfermât dans l'ombre de la vie privée et domestique, l'exercice de ses talens particuliers, et même cet esprit, si exquis et si actif qu'il soit, dont la nature l'a favorisée. Ils n'hésitent point à bannir les femmes de presque tout le domaine des arts et des sciences, et, comme si la gloire ne pouvoit que ternir la pudeur, ils renvoient durement au fuseau celles qui, bien ou mal, s'émancipent à manier la plume ou la lyre; espèce de philosophie, que peut-être on n'eût point honorée de ce nom, si elle n'avoit eu pour oracle Rousseau, le plus philosophe des orateurs, et le plus orateur des philosophes. Mais d'autres ont pensé que la femme n'étant pas seulement la femelle de l'homme, ou sa nourrice, ou sa servante, son esprit et son âme entrent dans la communauté aussi bien que ses charmes ou sa dextérité propre, et qu'ainsi, lorsqu'avec ses vertus, elle apporte un surcroît de dot en talens et en lumières, l'époux seroit mal reçu à s'en plaindre, d'autant que ces biens ne périssent point avec elle, et deviennent pour ses enfans l'héritage le plus assuré. Toutes les femmes, dussent-elles (ce qui n'est pas) porter les noms d'épouses et de mères, la société entière est intéressée au développement complet de tous les êtres qui la composent : et si, jusqu'à présent, les femmes n'ont point enfanté de grands systêmes, produit une Iliade, conçu Mérope ou le Tartuffe, élevé de superbes basiliques, ou égalé le pinceau de Raphaël, encore ne sauroit-on nier que les arts ne leur doivent des progrès et des chefs-d'œuvres, Qu'importe même l'abus que |