>> riers, des épées, des chapeaux du bel air, une idée de guerre, >> de romans, d'embarquement; d'aventures, de chaînes, de >> fers, d'esclaves, de servitude, de captivité: moi qui aime les >>> Romans, je suis transportée; il y a cent mille âmes au moins : >> de vous dire combien il y en a de belles, c'est ce que je n'ai >> pas le loisir de compter ». On aime à mettre en opposition avec ce charmant tableau, la peinture qu'elle fait dans le même genre, de cette noce brillante de Mademoiselle de Louvois, où l'on découvre un but moral, si bien indiqué, et cependant à peine aperçu par le commun des lecteurs; je veux dire de l'empressement de la bassesse, qui prodigue les hommages au crédit. « J'ai été à cette noce de >> Mademoiselle de Louvois; que vous dirai-je? Magnificence, >>> illuminations, toute la France, habits rebattus et rebrochés >> d'or, pierreries, brasiers de feu et de fleurs, embarras de >> carrosses, cris dans la rue, flambeaux allumés, reculemens >> et gens roués, enfin le tourbillon, la dissipation, les demandes » sans réponses, les complimens sans savoir ce qu'on dit, les >> civilités sans savoir à qui l'on parle, les pieds entortillés dans >> les queues : au milieu de tout cela, il est sorti quelques ques>> tions de votre santé; à quoi ne m'étant pas pressée de répondre, >> ceux qui les faisoient sont demeurés dans l'ignorance, et >> vraisemblablement dans l'indifférence de ce qui en est. O >>> vanité des vanités ! » Cette plume si légère, et cependant si profonde, sous cette apparence de légèreté, traçoit, avec la même simplicité, les événemens les plus dignes de la haute éloquence. Un homme, qui, au jugement de nos ennemis même, honoroit la nature humaine, est enlevé à la France; Turenne meurt la veille d'un combat, et nous devons regretter à jamais que ce héros n'ait pas vécu vingt-quatre heures de plus. La Cour est consternée, le peuple verse des larmes sur son tombeau, la nation choisit les plus illustres orateurs pour interprètes de la douleur publique, et les Temples retentissent pendant plusieurs jours des éloges que la Patrie et la Religion doivent à sa mémoire. Immortels orateurs du siècle de Louis XIV, je lis avec attendrissement les discours que vous avez consacrés à la gloire de Turenne, j'applaudis à vos succès, et je suis loin de vous refuser l'admiration que vous doivent tous les âges. Mais peut-être TOME I. n'avez-vous pas assez approfondi le caractère de cet homme, qui fut si grand par sa vertu; peut-être l'apprêt de vos louanges diminue l'intérêt que je goûterois dans un plus simple récit; peut-être l'art dépare trop des éloges que l'effusion du cœur pouvoit seule élever à la hauteur d'un si beau sujet. Qu'il me soit permis, sans oublier vos chefs-d'œuvres, d'avouer que Madame de Sévigné vous a pour le moins égalés. Quel orateur écrivit jamais rien de plus éloquent et de plus sublime? « La >> nouvelle de la mort de M. de Turenne arriva lundi à Ver>> sailles; le Roi en a été affligé, comme on doit l'être de la perte >> du plus grand Capitaine, et du plus honnête homme du >> monde: toute la Cour en fut en larmes; on étoit prêt d'aller >> se divertir à Fontainebleau; tout a été rompu. Jamais homme >> n'a été regretté si sincèrement.... Tout Paris et tout le peuple >> étoit dans le trouble et dans l'émotion; chacun parloit, s'at>> troupoit pour regretter ce héros. Dès le moment de cette >> perte, M. de Louvois proposa au Roi de le remplacer, en. >>> faisant huit Généraux au lieu d'un.... Jamais homme n'a été >> si prêt d'être parfait; et plus on le connoissoit, plus on l'ai>> moit, et plus on le regrette. Les soldats poussoient des cris >> qui s'entendóient de deux lieues. Ils crioient qu'on les ménât >> au combat; qu'ils vouloient venger la mort de leur Général, >>> de leur père, de leur protecteur; qu'avec lui ils ne craignoient >> rien. Ils crioient qu'on les laissât faire, et qu'on les menât au >> combat.... Ne croyez pas que son souvenir soit jamais fini >> dans ce pays-ci; ce fleuve qui entraîne tout, n'entraînera >> pas une telle mémoire ». J'aime à copier ces traits échapés à Madame de Sévigné, dans la plénitude de son affection; c'est la plus belle manière de la louer. Mais si les orateurs doivent envier la simplicité touchante d'un pareil récit, quel Poète dramatique ne sera jaloux de cette scène si pathétique décrite par Madame de Sévigné, pour annoncer à sa fille la mort de M. de Longueville? Tous les secrets de l'art sont devinés par la nature, et le sentiment y déploie sa sublimité. « Mademoiselle de Vertus étoit retournée à Port>> Royal: on est allé la chercher avec M. Arnauld, pour dire >> cette terrible nouvelle à Madame de Longueville. Mademoi>> selle de Vertus n'avoit qu'à se montrer; ce retour précipité >> marquoit bien quelque chose de funeste. En effet, dès qu'elle >> parut: ah! Mademoiselle, comment se porte mon frère? Sa >> pensée n'osa aller plus loin. - Madame, il se porte bien de sa >> blessure, il y a eu un combat Et mon fils? On ne lui mon fils, mon cher enMadame, je n'ai point >> de parole pour vous répondre. Ah! mon cher fils! est-il >> mort sur-le-champ? N'a-t-il pas eu un seul moment? Ah, » mon Dieu, quel sacrifice! Et tout ce que la plus vive dou>> leur peut faire, et par des convulsions, et par des évanouis>> semens, et par un silence mortel, et par des cris étouffés, et >> par des larmes amères, et par des élans vers le Ciel, et par >> des plaintes tendres et pitoyables; elle a tout éprouvé ». Cette mère qui demande, au premier bruit d'un combat, des nouvelles de son frère, et dont la pensée n'ose aller plus loin; cette mère tendre, qui craint de s'informer aussitôt de son fils, dont la conservation lui est plus précieuse que celle de son propre frère, laisse bien loin, dans ce morceau, Andromaque et Clytemnestre, et toutes ces mères sensibles, dont le seul nom fait tant d'honneur au cœur humain. Tous les sentimens de son cœur étoient peints dans ses Lettres Cette âme, où les grandes choses s'imprimoient si fortement, et où l'expression répondoit à l'image; cette âme étoit pleine de fermeté pour soutenir les maux. Quelle tranquillité au milieu des douleurs! Quelle facilité à en parler, à en badiner même ! « J'ai commencé aujourd'hui la douche, c'est une bonne répé>> tition du purgatoire. On est toute nue dans un petit lieu >> souterrain; derrière un rideau se met quelqu'un qui vous >> soutient le courage pendant une demi-heure. C'étoit pour >> moi un Médecin de Gannat, qui a de l'esprit et qui connoît le >> monde; il me parloit donc pendant que j'étois au supplice. >> Représentez-vous un jet d'eau bouillante contre quelqu'une >> des parties du corps; on met d'abord l'alarme partout, pour >> mettre en mouvement tous les esprits; puis on s'attache aux >> jointures qui ont été affligées; mais quand on vient à la nu>> que du col, c'est une sorte de feu et de supplice qui ne peut >> se comprendre; c'est là cependant le nœud de l'affaire; et l'on >> souffre tout, et l'on n'est pas brûlé. Enfin, je ferai cette vie >> pendant sept ou huit jours; c'est principalement pour finir >> cet adieu que l'on m'a envoyée ici, et je trouve qu'il y a de la >> raison; je vais renouveller un bail de vie et de santé; vous >> pourrez encore m'appeler votre bellissima madre ». Vous appeler belle? Ah, mère incomparable! c'étoit la moindre de vos prérogatives. La bonté, l'indulgence, la douceur, tous les charmes d'une vertu généreuse se découvrent dans vos Lettres. « Vous savez que je ne puis souffrir que, les >> vieilles gens disent, je suis trop vieux pour me corriger; >> je pardonnerois plutôt aux jeunes gens de dire, je suis trop >> jeune : la jeunesse est si aimable, qu'il faudroit l'adorer, si >> l'âme et l'esprit étoient aussi parfaits que le corps. Mais quand >> on n'est plus jeune, c'est alors qu'il faut se corriger, et re>> gagner par les bonnes qualités ce qu'on perd du côté des >>> agréables. >> Ses Lettres présentent mille pensées détachées, mille maximes dignes de la Rochefoucauld et de la Bruyère. « On aime >>> tant à parler de soi, qu'on ne se lasse pas des tête-à-têtes pen>> dant des années entières avec un amant, et voilà pourquoi >> les dévotes aiment à être avec leur Confesseur; c'est le plai>> sir de parler de soi, quand on devroit en dire du mal. » Dans un autre endroit : « Vous avez trop d'esprit pour ne >> pas voir que les citations sont quelquefois agréables et néces>>> saires; je crois qu'il n'y a rien qu'il faille bannir entièrement >> de la conversation; le jugement et les occasions doivent y >> faire entrer tour à tour ce qui est le plus à propos ». Personne ne savoit mieux qu'elle orner de traits agréables ce qu'elle disoit ou ce qu'elle écrivoit; un passage de la Fable, un vers de Comédie viennent se placer à chaque instant sous sa plume; son érudition, qui étoit bien loin de la pédanterie, lui faisoit trouver sans cesse des allusions plaisantes. « Bien des gens, >> écrít-elle à sa fille, en voyant l'opéra de Proserpine, ont >> pensé à vous et à moi; je ne vous l'ai pas dit, parce qu'en >>> me faisant Cérès, et vous Proserpine, tout aussitôt voilà >> M. de Grignan devenu Pluton; et j'ai eu peur qu'il ne me >> fasse répondre vingt mille fois par son chœur de musique : » Une mère vaut-elle un époux? C'est cela que j'ai voulu éviter; >>> car pour le vers qui est devant celui-là: Pluton aime mieux » que Cérès, je n'en eusse pas été embarrassée ». Le mérite de Madame de Sévigné étoit presque universel. Tout ce qui venoit de cette femme célèbre portoit l'empreinte de son esprit. Une imagination vive, brillante, sage, des connoissances étendues, un discernement juste, un goût exquis, tout ce qu'on peut désirer d'aimable et d'estimable rassemblé dans ses Ecrits. On pourroit m'objecter quelques erreurs de goût dans lesquelles cette femme célèbre est tombée. Peutêtre donna-t-elle à Corneille une préférence trop marquée sur Racine; elle crut voir dans la postérité la même prédilection, et n'admit pas même entre eux l'égalité fondée sur un mérite d'un genre différent. Il faut avouer qu'une âme inaccessible à l'amour, ne peut sentir qu'en partie les beautés de Racine: cette finesse de galanterie, ce sublime des passions, ce délire du cœur, toute cette magie de sentiment perd infiniment de son prix, quand on a le bonheur ou le malheur de n'avoir jamais éprouvé le combat des passions; c'est l'obstination d'un étranger, qui ne peut sentir le génie d'une langue différente de la sienne; et Boileau, le grand Boileau lui-même n'eut-il pas besoin d'excuse dans ses jugemens? Il ne connut pas assez le mérite du Tasse, il ne sentit pas les grâces de Quinault: ces erreurs de goût ne peuvent nuire ni au célèbre Satirique, ni à l'admiratrice trop passionnée de Corneille. Laissons donc à Madame de Sévigné toute sa gloire; ne diminuons rien de nos hommages : admirons son esprit, encore plus son cœur; rien n'est si sublime que sa tendresse; ce sont des expressions mille fois répétées, toujours intéressantes et toujours nouvelles; c'est une éloquence intarissable. Que tout ce qui tient au sentiment fait une douce et vive impression ! Que l'on y sent bien les charmes de l'amitié! On y voit cette ingénieuse et active tendresse, qui est la vraie façon d'aimer, parce qu'elle est dépouillée de l'amour de soi-même, et qu'elle ne s'occupe que du bonheur des autres. N'appelons vrais amis que ceux qui rapportant tout à l'objet de leur affection, ne cherchent que son utilité et son bonheur. Ce sentiment constant et animé les éclaire sur le véritable intérêt de ce qu'ils aiment, et leur fait sacrifier souvent leurs goûts les plus chers: ingénieux à chercher les moyens d'obliger, ardens à les suivre, si la faculté leur manque, ils invitent, ils exhortent, ils sollicitent; et s'ils sont condamnés à l'inaction, quelle expression ne donnent-ils pas à leurs regrets, à leurs souhaits? |