Page images
PDF
EPUB

séjour en Bretagne; et le charme qu'elle répandoit partout, leur rendoit sa présence infiniment chère. Rien de plus agréable, et en même tems de plus propre à dépeindre la liberté douce qui régnoit entre eux, que le récit qu'elle fait à sa fille, d'une visite de la Duchesse: « Jeudi dernier, Madame de Chaulnes entra >> dans ma chambre, avec trois de ses amies, disant qu'elle ne >> pouvoit être plus long-tems sans me voir, et que la Bretagne >> lui pesoit sur les épaules. Elle se jeta sur mon lit; on se met >>> autour d'elle; en un moment, la voilà endormie de pure >> fatigue. Nous causons toujours; elle se réveille enfin, trou>> vant plaisante et adorant l'aimable liberté des Rochers; nous >> allons nous promener; nous nous asseyons au fond d'un bois : >> je lui fais reconter Rome et les aventures de son mariage; >> puis voilà une pluie traîtresse qui se met à nous noyer; nous >> voilà toutes à courir; on crie, on glisse, on tombe; on ar-. >> rive; grand feu, on change de hardes, je fournis à tout: >> voilà comme fut traitée la Gouvernante de Bretagne, dans >> son propre Gouvernement; puis cette pauvre femme s'en >> retourna, plus fâchée, sans doute, du rôle ennuyeux qu'elle >> alloit reprendre, que de l'affront qu'elle avoit reçu ici >>.

On voit que Madame de Sévigné se consoloit par les plaisirs de l'esprit, de la solitude de la campagne. « J'ai apporté ici, >> écrit-elle à sa fille, quantité de livres choisis; on ne met pas >> la main sur un, tel qu'il soit, qu'on n'ait envie de le lire tout >> entier. J'ai toute une tablette de dévotion. Eh, quelle dévo>> tion! Quel point de vue pour honorer notre Religion! L'autre >> est toute d'histoires admirables; l'autre de poésies, et de nou>> velles, et de mémoires. Quand j'entre dans ce cabinet, je ne >> comprends pas pourquoi j'en sors; il seroit digne de vous, >> ma fille.

>> Quand je suis seule ici, je fais mes affaires, je lis, j'écris, >> je me promène. Quand j'ai compagnie, je travaille ». Elle avoit dit précédemment : « Hélène ne vient pas avec moi; Marie » me sert assez mal; mais ne soyez pas en peine de moi. Je >> vais essayer de n'être pas servie si fort à ma mode, et d'être >> dans la solitude. J'aimerai à connoître la docilité de mon >> esprit, et je suivrai les exemples de courage et de raison que >> vous me donnez. Ce seroit une belle chose, que je ne susse >> vivre qu'avec les gens qui me sont agréables. Je m'occuperai

» à payer mes dettes, à manger mes provisions; je penserai > beaucoup à vous; je lirai, j'écrirai, je marcherai, je travail>> lerai, je recevrai de vos lettres. Hélas! la vie ne se passe que > trop! On respire partout».

Elle fait en mille endroits des récits intéressans de ses promenades champêtres. Livry, les Rochers, bois agréables, solitudes charmantes, quel plaisir elle goûtoit en vous parcourant! Vous lui rappelliez sa fille, ses amis. Elle vous cherchoit par besoin de se les représenter; vous étiez dépositaires de ses regrets, de ses larmes, de ces émotions si chères à son cœur; vous lui rendiez quelquefois son enjouement; ses pensées les plus agréables sont sorties souvent du fond de vos déserts; enfin, vous lui présentiez son âme, son cœur, et cet aspect étoit doux pour elle. Qu'il est aisé d'être heureux avec des mœurs simples, et qu'il est doux de trouver son bonheur dans l'amour de ses devoirs, dans l'étude, dans le travail ! Sexe aimable, qui passez votre vie dans une dissipation qu'on appelle le plaisir, et qui émoussez votre sensibilité en épuisant tous les amusemens frivoles, ignorez-vous qu'il est une joie douce et recueillie, qui satisfait toujours l'âme, et ne la dégoûte jamais, la joie de s'estimer soi-même? Ah! si jamais vous vous renfermiez dans un cercle de distractions futiles ou d'opinions bizarres, vous perdriez vos plus beaux droits, et votre empire seroit détruit. Aspirez au beau privilége de fixer à la fois les mœurs, les usages, les goûts; mais fuyez, fuyez ces opinions bizarres, cet esprit de système, cette chaleur de parti, qui, en vous plaçant hors de votre sphère, vous transporte dans un tourbillon où vous ne pouvez démêler l'erreur, et où la vérité même a un air farouche qui épouvante les Grâces.

En louant Madame de Sévigné, il m'est permis, sans doute, de la proposer pour modèle aux femmes qui veulent cultiver leur esprit. Elle aima la littérature; mais elle se borna aux écrits qu'elle pouvoit apprécier. Elle se passionna pour les chefsd'œuvres de son siècle; mais son admiration ne fut jamais aux ordres d'aucun parti; tous les événemens de son tems, le mérite des gens en place, celui des ouvrages nouveaux, enfin tout ce qui attiroit l'attention publique, étoit jugé dans ses Lettres ; mais quelle prudence, quelle défiance de ses lumières, dans les jugemens qu'elle porte! Eh, qu'aviez-vous à craindre, femme illustre? La postérité a consacré presque tous vos jugemens; et ce n'est pas dans des écrits faits à loisir, ni dans des dissertations méditées, que l'on trouve ces traits précieux de goût et de discernement que l'on admire en vous; c'est dans des Lettres écrites du premier trait de plume, et qui n'étoient jamais ni étudiées ni relues; dans des narrations où l'esprit, l'imagination, la plume avoient le plus libre essor, et n'étoient interrompus que par les élans d'un cœur tendre, ou par les regrets amers que lui causoit l'absence de sa fille. Il est bien tems de réunir, dans cet Éloge, ces deux cœurs trop long-tems séparés; et le nom seul de Madame de Grignan m'indique de nouveaux rapports et de nouveaux titres de gloire pour Madame de Sévigné.

SECONDE PARTIE.

S'il est un genre d'écrire où le travail et l'art puissent gâter la nature; et s'il en est un dont le style soit plus imparfait à mesure qu'il est plus recherché, c'est le genre épistolaire. Les plus grands Auteurs ne fournissent, en ce point, que de foibles modèles; l'habitude d'écrire pour la postérité, donne aux choses les plus simples un air étudié qui les dépare. On admire tout ce qui sort de la plume de ces hommes célèbres; mais on voudroit trouver l'éloquence ailleurs que dans leurs Lettres.

Je vois briller dans Voiture l'esprit et la délicatesse; mais je regrette ces naïvetés heureuses qui exciteroient mon admiration sans l'avertir; je ne lui pardonne pas tous les efforts qu'il fait pour écrire avec tant d'harmonie; il auroit bien pu m'intéresser sans tourmenter son style.

Je trouve Fléchier toujours Orateur, jusque dans ses Lettres les plus familières; et je me dégoûte aussitôt d'un Ecrivain qui me parle avec tant d'apprêt.

Je vois dans les Lettres de Racine, de la grâce, de la délicatesse, de l'enjouement.

L'inimitable de La Fontaine enrichit encore tous ses dons, par une naïveté qui lui est propre; mais il semble néanmoins, que ni l'un ni l'autre n'ait trouvé la perfection du style épistolaire. Ils avoient trop l'habitude d'ètre Auteurs dans un genre où il ne faut jamais le paroître.

Il étoit réservé à Madame de Sévigné de créer un style ignoré

jusqu'à elle, et de nous montrer de nouvelles grâces, plus piquantes que les autres, et presque inimitables.

Une autre femme a obtenu de la célébrité dans la même carrière, c'est Madame de Maintenon. Tout ce qu'on peut rassembler d'esprit, de justesse, de délicatesse, de connoissance du monde, est répandu dans ses Lettres; mais le rang qu'elle occupoit à la Cour de Louis XIV, la rendoit circonspecte, réservée, méfiante; mais elle écrivoit, comme on l'a observé avant moi, sous la dictée de la postérité; mais l'amertume dont son cœur étoit inondé au milieu de la Cour et des honneurs, faisoit fuir l'enjouement et les grâces. Il falloit une liberté douce, une vie tranquille, un esprit calme; il falloit enfin le naturel heureux et la position singulière de Madame de Sévigné, pour mettre dans un aussi beau jour cette imagination brillante et enjouée. Il falloit un objet d'affection tel que Madame de Griguan, pour produire ces élans du cœur, ces expressions de tendresse, si fortes et si touchantes; cet aimable abandon, enfin, qui fait le charme le plus puissant de ses Lettres.

Qu'on juge du peu d'importance qu'elle y attachoit, par cet aimable reproche qu'elle fait à sa fille. « Quand je vous écris >> des Lettres courtes, vous croyez que je suis malade; quand >> je vous en écris de longues, vous craignez que je ne le de» vienne; tranquillisez-vous. Quand je commence une Lettre, >> j'ignore si elle sera longue ou courte; j'écris tout ce qui >> plaît, et tant qu'il plaît à mon esprit et à ma plume; il m'est >> impossible d'avoir d'autre règle, et je m'en trouve bien ».

C'est à cette aimable indépendance que nous devons tant de traits précieux dans tous les genres; c'est cette plume légère et vagabonde, qui a produit des badinages si ingénieux, des traits d'éloquence si sublimes, des maximes de morale si excellentes.

Ici, je rougirois de louer Madame de Sévigné par des lieux communs, qui deviennent cependant des hommages mérités. Quand on parle de cette femme célèbre, ce n'est pas au Panégyriste à exprimer son admiration par des hyperboles exagérées, il lui suffit de raconter ses jouissances, et d'indiquer tourà-tour les divers tableaux qui l'ont frappé.

Quel abandon, quel enjouement dans ce badinage, d'autant plus piquant, qu'il paroît d'abord sérieux et presque tragique! « J'avois envie de réduire à moitié les Lettres que j'écris à >> d'Hacqueville, afin de n'avoir qu'une médiocre part à l'as>>> sassinat que nous commettons tous en l'accablant de nos >> affaires; mais il me mande que cela ne suffira pas à son ami>> tié. Puisque le régime que je lui avois prescrit ne lui convient >> pas, je lâche la bride à toutes ses bontés, et lui rends la >> liberté de son écritoire; si ce n'est moi qui le tue, ce sera un >>> autre ».

Eh, qui n'est agréablement touché de ce mélange d'indulgence et d'ironie qu'emploie Madame de Sévigné, pour peindre à sa fille le détail de ses journées en Bretagne! Jamais la Philosophie n'a su mieux allier la finesse qui saisit les ridicules, avec cette raison saine qui excuse les travers en faveur de la bonhommie. « Je reçus hier toute la Bretagne; je fus ensuite à la comé>> die; c'étoit Andromaque, qui me fit pleurer plus de six >> larmes; c'étoit assez pour une troupe de campagne. Le soir >> on soupa, et puis le bal: au reste, ne croyez pas que votre >> santé ne soit pas bue; cette obligation n'est pas grande; mais >> telle qu'elle est, vous l'avez tous les jours à toute la Bretagne. >> Quarante Gentilshommes avoient dîné ensemble, et avoient >> bu ensemble quarante santés; nous dinons à part: ceux-ci >> me parlent de vous; et nous rions un peu de notre prochain. >> Il est plaisant ici le prochain, sur-tout quand on a dîné ».

Une lecture qu'elle fait par hasard, vient naturellement embellir ses récits; et la morale qu'elle en tire, s'applique de même à tout ce qu'elle veut dire. « Je poursuis cette lecture de Nicole, >> que je trouve délicieuse; elle ne m'a encore donné aucune >> leçon contre la pluie, mais j'en attends; car j'y trouve tout, >> et le tems est épouvantable. Cependant la conformité à la >>> volonté de Dieu pourroit seule me suffire, si je ne voulois un >> remède spécifique ».

Son imagination, toujours brillante dans les sujets les plus arides, prend un nouvel éclat, lorsque l'objet de ses descriptions est susceptible de la richesse de ses couleurs. Elle a déployé tout son talent pour cette poésie descriptive, en peignant cette même ville, où nous nous disputons aujourd'hui l'honneur de la célébrer elle-même. « Je suis ravie de la beauté de Marseille; >> et l'endroit d'où je découvris la mer, les bastides, les mon>> tagnes, est une chose étonnante. Une foule de Chevaliers >> vinrent voir M. de Grignan: des noms connus, des aventu>> riers,

« PreviousContinue »