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les Dieux vous ont donné! Votre cœur, Madame, est sans doute un bien qui ne peut se mériter; jamais il n'y en eut un si généreux, si bien fait et si fidèle. Il y a des gens qui vous soupçonnent de ne pas le montrer toujours tel qu'il est; mais, au contraire, vous êtes si accoutumée à n'y rien sentir qui ne vous soit honorable, que même vous y laissez voir quelquefois ce que la prudence vous obligeroit de cacher. Vous êtes la plus civile et la plus obligeante personne qui ait jamais été; et par un air libre et doux, qui est dans toutes vos actions, les plus simples complimens de bienséance paroissent en votre bouche des protestations d'amitié; et tous les gens qui sortent d'auprès de vous, s'en vont persuadés de votre estime et de votre bienveillance, sans qu'ils puissent se dire à euxmêmes quelle marque vous leur avez donnée de l'une et de l'autre. Enfin, vous avez reçu çu des grâces du Ciel, qui n'ont jamais été données qu'à vous; et le monde vous est obligé de lui être venu montrer mille agréables qualités, qui jusqu'ici lui avoient été inconnues. Je ne veux point m'embarquer à vous les dépeindre toutes; car je romprois le dessein que j'ai fait de ne pas vous accabler de louanges; et de plus, Madame, pour vous en donner qui fussent

Dignes de vous, et dignes de paroître,

Il faudroit être votre amant,

Et je n'ai pas l'honneur de l'être (1).

(t) Allusion aux derniers vers de la pompe funèbre de Voiture, par Sarrazin,

:

1

SUR LES LETTRES DE SÉVIGNÉ,

Par LA HARPE.

Si le plus grand éloge d'un ouvrage, c'est d'être beaucoup relu, qui a été plus loué que Madame de Sévigné? C'est le livre de toutes les heures; à la ville, à la campagne, en voyage, on lit Madame de Sévigné. Quel livre plus précieux que celui qui vous amuse, vous inté resse et vous instruit sans vous demander d'attention? C'est l'entretien d'une femme très-aimable, dans lequel on n'est point obligé de mettre du sien; ce qui est un grand charme pour les esprits paresseux, et presque tous les hommes le sont, au moins la moitié de la journée.

Je sais bien que les détails historiques d'une Cour et d'un siècle qui ont laissé une grande renommée, font une partie de l'intérêt qu'on prend à la lecture de Madame de Sévigné. Mais la Cour d'Anne d'Autriche et la Fronde sont des objets très-curieux et très-piquans, et Madame de Motteville ennuie.

Madame de Sévigné raconte supérieurement : les plus parfaits modèles de narration se trouvent dans ses Lettres. Rien n'est égal à la vivacité de ses tournures et au bonheur de ses expressions: c'est qu'elle est toujours affectée de ce qu'elle raconte; elle peint comme si elle voyoit, et l'on croit voir ce qu'elle peint. Elle paroît avoir eu une imagination très-active et très-mobile qui l'attachoit successivement à tous les objets. Dès qu'elle s'en occupe, ils prennent un grand pouvoir sur elle. Voyez la mort de Turenne : personne ne l'a pleuré de si bonne foi; mais aussi personne ne l'a tant fait pleurer. C'est la plus belle oraison funèbre de ce grand homme, et sur-tout la plus touchante. Jamais il n'a été si bien loué, ni si bien regretté

jamais on n'a rendu sa mémoire plus chère et plus respectable. Pourquoi ? ce n'est pas seulement parce que tout est vrai et senti; c'est qu'on ne se méfie pas d'une lettre comme d'un panégyrique. C'est une terrible tâche que de dire : Ecoutez-moi, je vais louer; écoutez-moi, et vous allez pleurer. Alors précisément on pleure et on admire le moins qu'on peut : et lorsque l'Orateur nous y a forcés, il a fait son métier; on met sur le compte de son art une partie de la gloire de son héros. Mais celui qui s'entretient familièrement avec moi, me fait bien plus d'impression: il n'a point de mission à remplir; son âme parle à la mienne, et s'il est véritablement affecté, il se rend maître de moi, et me communique tout ce qu'il sent.

Ceux qui aiment à réfléchir, peuvent tirer un autre avantage des Lettres de Madame de Sévigné : c'est d'y voir sans nuage l'esprit de son tems, les opinions qui régnoient, ce qu'étoit le nom de Louis XIV, ce qu'étoit sa Cour, ce qu'étoit alors le mot de la Cour, ce qu'étoit la dévotion, ce qu'étoit un Prédicateur de Versailles, ce qu'étoit le Confesseur du Roi, la Chaise, chez qui Luxembourg accusé alloit faire une retraite. Ce mélange de foiblesses, de religion et d'agrémens, qui caractérisoit les femmes les plus célèbres; cette délicatesse d'esprit, qui, dans les Courtisans, se mèloit à l'excès de l'adulation; ce ton de Chevalerie et d'héroïsme qui n'excluoit pas le talent de l'intrigue, et fait pour plaire à un Prince, dont la grandeur avoit une teinte romanesque; enfin, dans tous les genres, ces caractères de supériorité qui appartiennent à l'époque des grands talens et des grands succès, et qui en imposent à la dernière postérité : voilà ce qu'on trouve dans les Lettres de Madame de Sévigné. Il n'y a point de livre qui donne plus à réfléchir à ceux qui observent la différence d'un siècle à un autre. C'est ce même avantage qui rend les Lettres de Cicéron à Atticus si précieuses : en les lisant, on connoît mieux César et Pompée, que par tous les monumens historiques. Cicéron nous instruit d'autant mieux, qu'il ne croyoit pas nous instruire : ses Lettres sont des confidences faites à un ami; nous en avons surpris le secret. Elles ont un bien plus grand mérite que celui de l'esprit; l'esprit, au contraire, est tout le mérite des Lettres de Pline. Une recommandation, une invitation, sont pour lui des ouvrages; il écrit tous ses billets sous les yeux de la postérité.

Il est bien étrange que les Lettres de Voiture y soient parvenues : il est vrai qu'elle s'en occupe peu, il n'y a guère de recueils plus insipides. Sa réputation peut cependant s'expliquer : c'étoit le faux bel-esprit qui succédoit au pédantisme, et c'étoit un degré par lequel il falloit passer pour arriver au naturel et au bon goût. Telle est en tout la marche de l'esprit humain; il ne trouve le bon sens qu'après avoir épuisé les sottises.

DU STYLE ÉPISTOLAIRE

ET DE MADAME DE SÉVIGNÉ,

Par M. SUARD.

QU'EST-CE qui caractérise essentiellement le style épistolaire? Il est embarrassant de répondre à cette question. Le style épistolaire est celui qui convient à la personne qui écrit et aux choses qu'elle écrit. Le Cardinal d'Ossat ne peut pas écrire comme Ninon; et Cicéron n'écrit pas sur le meurtre de César du même ton dont il raconte le souper qu'il a donné en impromptu à César. On pourroit appliquer le même principe au style de l'Histoire, de la Fable, etc. Le style de Tacite n'a rien de commun avec celui de Tite-Live, ni le style de La Fontaine avec celui

de Phèdre.

A quoi servent ces distinctions de genres et de tons qu'on est parvenu à introduire dans la Littérature ? On veut tout réduire en classes et en genres: on prend pour le terme de la perfection dans chaque genre, le point où s'est arrêté l'Ecrivain qui a été le plus loin, et l'on semble prescrire pour modèle la manière qu'il a prise. Cet esprit critique, qui distingue particulièrement notre nation, a servi, il est vrai, à répandre un goût plus sain et plus agréable, mais a contribué en même-tems à gêner l'essor des talens et à rétrécir la carrière des arts. Heureusement le génie ne se laisse pas garotter par ces petites règles que la pedanterie, la médiocrité, la fureur de juger ont inventées et s'efforcent de maintenir. L'homme de génie est comme Gulliver au milieu des Lilliputiens qui l'enchaînent pendant son sommeil : en se réveillant,

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