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Lecteur intelligent et attentif remédie à tout cela, et y trouve du sens de reste pour s'en contenter.

Comme ces Lettres n'étoient écrites que pour ces deux aimables personnes, elles ne déguisoient par aucun chiffre, ni par aucun nom emprunté, ce qu'elles vouloient s'apprendre; et comme elles ne trouvoient dans toutes les actions du Roi que de la grandeur et de la justice, elles en parloient en toute liberté, sans craindre que leurs Lettres fussent interceptées.

Quoique le style de ces Lettres soit d'un tour aisé, naturel et simple en apparence, il ne laisse pas d'être assez figuré pour exiger du Lecteur bien de l'attention.

Ces Lettres sont d'ailleurs remplies de préceptes et de raisonnemens si justes et si sensés, avec tant d'art et d'agrémens, que leur lecture ne peut être que très-utile aux jeunes personnes, et même à tout le monde.

Tout ce qu'il ne m'est pas permis de vous envoyer, mon cher Cousin, et qui doit rester sous le secret, parce qu'il est trop mêlé d'affaires de famille, est pour le moins aussi beau que ce que je vous envoie, et j'y ai bien du regret. Cependant voici quelques Lettres que je vous ai tirées, et dont j'espère que la lecture vous donnera bien du plaisir. En ce cas, je plaindrai și peu les veilles que j'y ai employées, que je continuerai à vous en chercher d'autres. Mais si j'étois assez heureuse pour y pouvoir joindre les Réponses de ma mère, n'en seriez-vous pas bien content, mon cher Cousin ? et croyez-vous après cela qu'il y eût rien à désirer?

PORTRAIT

De Madame DE SÉVIGNÉ, par Madame DE LA

FAYETTE, sous le nom d'un inconnu *.

T ous ceux qui se mêlent de peindre les belles, se tuent de les embellir pour leur plaire, et n'oseroient leur dire un seul mot de leurs défauts. Pour moi, Madame, grâce au privilége d'inconnu dont je jouis auprès de vous, je men vais vous peindre tout hardiment, et vous dire vos vérités bien à mon aise, sans crainte de m'attirer votre colère. Je suis au désespoir de n'en avoir que d'agréables à vous conter; car ce me seroit un grand plaisir, si, après vous avoir reproché mille défauts, je me voyois cet hiver aussi bien reçu de vous, que mille gens qui n'ont fait toute leur vie que vous importuner de louanges. Je ne veux point vous en accabler, ni m'amuser à vous dire que votre taille est admirable, que votre teint a une beauté et une fleur qui assurent que vous n'avez que vingt ans ; que votre bouche, vos dents et vos cheveux sont incomparables; je ne veux point vous dire toutes ces choses, votre miroir vous le dit assez : mais comme vous ne vous amusez pas à lui parler, il ne peut vous dire combien vous êtes aimable, quand vous parlez; et c'est ce que je veux vous apprendre. Sachez donc, Madame, si, par hasard, vous ne le savez pas, que votre esprit pare et embellit si fort votre personne, qu'il n'y en a point sur la terre d'aussi charmante, lorsque vous êtes animée dans une conversation dont la contrainte est bannie. Tout ce que vous dites a un tel charme, et vous

* Ce Portrait date de l'année 1659. Voyez Lettre 363 de notre Édition. Madame de Sévigné avoit 33 ans.

sied si bien, que vos paroles attirent les ris et les grâces autour de vous; et le brillant de votre esprit donne un si grand éclat à votre teint et à vos yeux, que, quoiqu'il semble que l'esprit ne dût toucher que les oreilles, il est pourtant certain que le vôtre éblouit les yeux ; et que quand on vous écoute, on ne voit plus qu'il manque quelque chose à la régularité de vos traits, et l'on vous cède la beauté du monde la plus achevée. Vous pouvez juger que si je vous suis inconnu, vous ne m'êtes pas inconnue, et qu'il faut que j'aie eu plus d'une fois l'honneur de vous voir et de vous entendre, pour avoir démêlé ce qui fait en vous cet agrément dont tout le monde est surpris. Mais je veux encore vous faire voir, Madame, que je ne connois pas moins les qualités solides qui sont en vous, que je fais les agréables dont on est touché. Votre âme est grande, noble, propre à dispenser des trésors, et incapable de s'abaisser aux soins d'en amasser. Vous êtes sensible à la gloire et à l'ambition, et vous ne l'êtes pas moins aux plaisirs : vous paroissez née pour eux, et il semble qu'ils soient faits pour vous; votre présence augmente les divertissemens, et les divertissemens augmentent votre beauté, lorsqu'ils vous environnent. Enfin, la joie est l'état véritable de votre âme, et le chagrin vous est plus contraire qu'à qui que ce soit. Vous êtes naturellement tendre et passionnée; mais, à la honte de notre sexe, cette tendresse vous a été inutile, et vous l'avez renfermée dans le vôtre, en la donnant à Madame de la Fayette. Ah, Madame ! s'il y avoit quelqu'un au monde d'assez heureux pour que vous ne l'eussiez pas trouvé indigne du trésor dont elle jouit, et qu'il n'eût pas tout mis en usage pour le posséder, il mériteroit de souffrir seul toutes les disgrâces à quoi l'amour peut soumettre tous ceux qui vivent sous son empire. Quel bonheur d'être le maître d'un cœur comme le vôtre, dont les sentimens fussent expliqués par cet esprit galant que

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les Dieux vous ont donné! Votre cœur, Madame, est sans doute un bien qui ne peut se mériter; jamais il n'y en eut un si généreux, si bien fait et si fidèle. Il y a des gens qui vous soupçonnent de ne pas le montrer toujours tel qu'il est; mais, au contraire, vous êtes si accoutumée à n'y rien sentir qui ne vous soit honorable, que même vous y laissez voir quelquefois ce que la prudence vous obligeroit de cacher. Vous êtes la plus civile et la plus obligeante personne qui ait jamais été; et par un air libre et doux, qui est dans toutes vos actions, les plus simples complimens de bienséance paroissent en votre bouche des protestations d'amitié; et tous les gens qui sortent d'auprès de vous, s'en vont persuadés de votre estime et de votre bienveillance, sans qu'ils puissent se dire à euxmêmes quelle marque vous leur avez donnée de l'une et de l'autre. Enfin, vous avez reçu des grâces du Ciel, qui n'ont jamais été données qu'à vous; et le monde vous est obligé de lui être venu montrer mille agréables qualités, qui jusqu'ici lui avoient été inconnues. Je ne veux point m'embarquer à vous les dépeindre toutes; car je romprois le dessein que j'ai fait de ne pas vous accabler de louanges; et de plus, Madame, pour vous en donner qui fussent

Dignes de vous, et dignes de paroître,
Il faudroit être votre amant,

Et je n'ai pas l'honneur de l'être (1).

(t) Allusion aux derniers vers de la pompe funèbre de Voiture, par Sarrazin.

:

SUR LES LETTRES DE SÉVIGNÉ,

Par LA HARPE.

Si le plus grand éloge d'un ouvrage, c'est d'être beaucoup relu, qui a été plus loué que Madame de Sévigné? C'est le livre de toutes les heures; à la ville, à la campagne, en voyage, on lit Madame de Sévigné. Quel livre plus précieux que celui qui vous amuse, vous inté resse et vous instruit sans vous demander d'attention? C'est l'entretien d'une femme très-aimable, dans lequel on n'est point obligé de mettre du sien; ce qui est un grand charme pour les esprits paresseux, et presque tous les hommes le sont, au moins la moitié de la journée.

Je sais bien que les détails historiques d'une Cour et d'un siècle qui ont laissé une grande renommée, font une partie de l'intérêt qu'on prend à la lecture de Madame de Sévigné. Mais la Cour d'Anne d'Autriche et la Fronde sont des objets très-curieux et très-piquans, et Madame de Motteville ennuie.

Madame de Sévigné raconte supérieurement: les plus parfaits modèles de narration se trouvent dans ses Lettres. Rien n'est égal à la vivacité de ses tournures et au bonheur de ses expressions: c'est qu'elle est toujours affectée de ce qu'elle raconte; elle peint comme si elle voyoit, et l'on croit voir ce qu'elle peint. Elle paroît avoir eu une imagination très-active et très-mobile qui l'attachoit successivement à tous les objets. Dès qu'elle s'en occupe, ils prennent un grand pouvoir sur elle. Voyez la mort de Turenne : personne ne l'a pleuré de si bonne foi; mais aussi personne ne l'a tant fait pleurer. C'est la plus belle oraison funèbre de ce grand homme, et sur-tout la plus touchante. Jamais il n'a été si bien loué, ni si bien regretté;

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