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Monsieur : il ne pouvait souffrir qu'on le touchât pendant son sommeil ; il fallait donc me coucher sur le bord du lit, d'où plus d'une fois je suis tombée comme un sac.

En arrivant à Saint-Germain, Madame sembla entrer dans un monde nouveau, tant elle était peu au courant de l'étiquette française; cependant elle fit aussi bonne contenance que possible, quoiqu'au premier abord elle vît bien qu'elle avait déplu à son mari. Mais elle pensa qu'à force de soins et de prévenances elle ferait oublier à Monsieur sa laideur, ce qui eut lieu en effet. Dès le jour de son arrivée, le roi vint trouver la princesse au Château-Neuf et lui amena M. le Dauphin, qui était alors un enfant de dix ans ; puis il la conduisit chez la reine en disant : Ne craignez rien, Madame, car elle aura plus peur de vous que vous n'aurez peur d'elle.

Cette ignorance de l'étiquette seule inquiétait le roi. Dans les premiers temps de la présence de Madame à la cour, il ne la quittait pas, s'asseyait près d'elle quand il y avait réception, et toutes les fois qu'il lui fallait se lever, c'est-à-dire quand un prince ou un duc entrait dans la chambre, le roi lui donnait un coup de coude pour l'avertir, et Madame, qui savait ce que ce coup de coude voulait dire, se levait aussitôt.

Mais il y eut deux personnes à la cour pour lesquelles le roi, malgré l'influence qu'il avait sur Madame, ne put jamais lui inspirer la moindre affection : c'étaient MTM de Montespan, qui du reste, à l'époque où nous sommes arrivés, 1680, allait tomber en disgrâce, et Mme de Maintenon, qui allait entrer en faveur.

Dans l'intervalle qui vient de s'écouler, le roi avait eu de M" de Montespan, outre M. le duc du Maine dont nous avons raconté la naissance, cinq autres enfants: le comte de Vexin, abbé de SaintDenis, né le 20 juin 1672 (1); M" de Nantes, née en 1673 (2); Mlle de Tours, née en 1676 (3); Me de Blois, née en 1677 (4); le comte de Toulouse, né en 1678 (5).

Tous ces enfants, quoique fruits d'un double adultère, avaient été légitimés au mépris des lois françaises.

Mais cet amour croissant que Louis XIV éprouvait pour les en

(1) Mort en 1683.—(2) Morte en 1743.- (3) Morte en 1681.—(4) Morte en 1749. (5) Mort en 1737.

fants allait peu à peu se refroidissant pour leur mère. Ce qui était arrivé pour Mme de La Vallière arrivait à cette heure pour MTM de Montespan chaque jour elle perdait un charme, tandis qu`au contraire, tout autour du roi, d'autres femmes empressées à lui plaire croissaient en beauté, et opposaient la fleur de leur jeunesse aux trente-neuf ans de Mme de Montespan.

Ce fut d'abord Mme de Soubise qui régna un instant; mais ce règne fut court: une petite aventure scandaleuse le termina. Un soir le roi, qui jamais, au temps de ses plus grandes amours, n'avait passé une nuit hors du lit de la reine, un soir, disons-nous, le roi ne rentra point. La reine, fort inquiète de cette absence, fit chercher Sa Majesté partout, au château et même dans la ville. On alla frapper à la porte de toutes les femmes, qu'elles fussent prudes ou coquettes; mais la recherche fut inutile: Sa Majesté ne se retrouva que le lendemain.

Cette incartade inaocoutumée fit grand bruit à la cour; chacun en jasait fort diversement, Mme de Soubise comme les autres. Me de Soubise alla même plus loin que les autres, et, devant la reine, elle nomma une dame qu'elle accusa du rapt conjugal dont se plaignait la pauvre Marie-Thérèse.

Celle-ci retint le nom et le redit au roi. Le roi nia; mais la reine répondit qu'elle était bien informée, tenant ce nom de M* de Soubise elle-même.

- Eh bien! alors, puisqu'il en est ainsi, dit le roi, je vais vous dire où j'ai passé la nuit je l'ai passée chez Mme de Soubise elle-même. Quand je désire un rendez-vous d'elle, je mets un diamant à mon petit doigt; si elle me l'accorde, elle met des boucles d'oreilles d'émeraude.

me

Cette aventure perdit Me de Soubise.

Ma de Ludre lui succéda; mais, comme elle ne fit que passer, son nom est consigné ici pour mémoire seulement, et pour rappeler un assez joli mot de la reine.

Quand le bruit se répandit que Mme de Ludre était la maîtresse du roi, une dame de la reine eut la hardiesse de lui annoncer cette nouvelle, et de lui dire qu'elle devrait s'opposer à ce nouvel amour: - Cela ne me regarde pas, dit la reine; c'est l'affaire de MTM de Montespan.

Puis vint M1 de fontange, cette statue de marbre, comme on

l'appelait, qui a conquis son immortalité non pas pour avoir été la maîtresse du roi, mais pour avoir laissé son nom à une coiffure.

C'était une fort belle personne dont le seul défaut, si toutefois c'en est un, était d'avoir des cheveux d'un blond un peu ardent. Sa beauté froide et sans animation n'avait pas plu d'abord à Louis, qui dit en la voyant chez la seconde Madame, dont elle était fille d'honneur: Bon! voici un loup qui ne me mangera point.

Louis XIV se trompait. D'ailleurs Me de Fontange était prédestinée avant de venir à la cour: elle rêva qu'elle montait à la cime d'une montagne très élevée, et qu'arrivée sur cette cime, après avoir été éblouie par un nuage resplendissant, elle se trouvait tout à coup dans une obscurité si profonde, qu'elle se réveilla de frayeur. Ce rêve lui fit une grande impression; elle le raconta à son confesseur, lequel, se mêlant probablement de divination, lui répondit : - Prenez garde à vous, ma fille; cette montagne est la cour, où il vous arrivera un grand éclat. Cet éclat sera de très peu de durée si vous abandonnez Dieu, car alors Dieu vous abandonnera, et vous tomberez dans d'éternelles ténèbres.

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Mais cette prédiction. au lieu d'épouvanter M" de Fcntange,

avait exalté son ambition; elle chercha cet éclat qui devait la perdre et l'obtint.

Présentée au roi dans une chasse par Mme de Montespan ellemême, qui calculait parfois sur des plaisirs d'un instant pour lui ramener le roi plus soumis que jamais, elle parvint, malgré son peu d'esprit, à plaire à celui-là même qui s'était promis qu'elle ne serait jamais rien pour lui, et peut-être, à cause de cette résistance, devint-elle plus puissante qu'elle ne l'avait d'abord espéré elle-même.

En effet, le roi parut bientôt l'aimer avec folie; il lui donna un appartement charmant et fit tendre son salon de tapisseries qui représentaient ses victoires. Ce fut à propos de ces tapisseries que le duc de Saint-Aignan, ce spirituel et complaisant favori qui gardait son influence sur Louis XIV à force de complaisance et d'esprit, fit les vers suivants :

Le plus grand des héros paraît dans cette histoire ;
Mais quoi! je n'y vois point sa dernière victoire !
De tous les coups qu'a faits ce généreux vainqueur,
Soit pour prendre une ville ou pour gagner un cœur,
Le plus beau, le plus grand et le plus difficile,
Fut la prise d'un cœur qui sans doute en vaut mille
Du cœur d'Iris enûn, qui mille et mille fois
Avait bravé l'amour et méprisé ses lois.

Les vers n'étaient pas bons; mais Mile de Fontange les trouva charmants, et le roi fut de l'avis de Me de Fontange. Ils eurent dès lors le plus grand succès. Bientôt un autre événement non moins important que celui-ci arriva.

Un jour, dans une partie de chasse, le vent dérangea la coiffure de la favorite. Me de Fontange, avec ce goût particulier aux femmes qui fait que jamais elles ne sont mieux habillées que lorsqu'elles s'habillent elles-mêmes, M" de Fontange, disons-nous, retint sa coiffure avec un ruban. Ce ruban était si coquettement attaché et allait si bien à l'air de son visage, que le roi la pria de le garder. Le lendemain toutes les femmes avaient un ruban pareil à celui de la favorite; la coiffure était consacrée et s'appelait coiffure à la Fontange.

Il y avait de quoi tourner la tête à la pauvre fille, «qui, dit "'abbé

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