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A M. ARMAND FALLIERES

SÉNATEUR

ANCIEN PRÉSIDENT DU CONSEIL DES MINISTRES

Hommage de profonde gratitude

et de respectueuse affection.

P. B.

PQ 1643

BUT

1893

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L peut paraître, au premier abord, fort superflu de vouloir refaire le portrait de

quelqu'un qui s'est peint lui-même; et, si le peintre a réussi aussi bien que Montaigne à retracer ses propres traits, tenter de les fixer davantage semblera tout à fait prétentieux. Pourtant, à la réflexion, on remarquera que, précisément parce que l'écrivain s'est pris pour modèle, il importe de le contrôler : plus la personne d'un auteur est mêlée à son œuvre, plus il est nécessaire de bien connaître l'une pour bien apprécier l'autre. Quand une œuvre est impersonnelle, celle d'un auteur dramatique, par exemple, obligé par métier à s'effacer et à parler par la bouche des personnages qu'il anime, on peut apprécier pleinement cette œuvre sans avoir rien appris

MONTAIGNE

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sur celui qui la composa. Au contraire, on ne saurait juger un livre sans connaître son auteur, si ce livre n'est que l'analyse des sentiments de celui qui l'écrivit.

C'est pour cela qu'il peut être instructif de parler de Montaigne, même après que Montaigne en a parlé. Sans doute, en fin de compte, il est beaucoup de renseignements qu'on ne saurait tenir que de Montaigne, parce qu'ils sont d'un ordre trop intime pour avoir été consignés par d'autres que par lui. Mais on peut les contrôler, les confirmer ou les rectifier au besoin à l'aide des témoignages étrangers, et, replaçant le tout dans son cadre naturel, faire un travail utile pour juger le caractère de l'homme et le génie de l'écrivain.

J'ai cru qu'il y avait place pour un tel livre, écrit pour ainsi dire sur les marges des Essais et destiné à expliquer l'œuvre par l'auteur, comme il s'est vu lui-même et aussi comme il est apparu à ses contemporains. Le lecteur dira si j'ai réussi et si mon ambition n'a pas été trop haute. A défaut d'autres mérites, ce livre aura celui de la sincérité, et, bien que le mot de Montaigne ait trop souvent et parfois trop mal servi, j'ose dire ici ce qu'il disait des Essais: C'est un livre de bonne foi.

Un pareil travail ne pouvait être mené à bien qu'en tirant profit des recherches de ses devanciers; j'y ai beaucoup eu recours et je leur dois beaucoup. Mais il semble que l'étude de Montaigne ait été, jusqu'ici, funeste à ses admirateurs. A trop examiner son œuvre, on a pris de lui l'amour des digressions, des détours incessants; on a battu les buissons à l'entour et fait de bonnes prises, sans songer à réunir, dans une étude générale, le butin épars de tous côtés. Les travaux de détail abondent, disséminés, sans lien entre eux et sans qu'on ait pris la peine de les coordonner.

Le plus en vue des admirateurs posthumes de Montaigne, le Dr Payen, en est la preuve. Pendant plus de trente ans, à l'affût des petites découvertes, il s'empressait d'en faire part au public dès qu'un heureux coup de la fortune l'avait favorisé. Il a eu l'excellente pensée d'exciter un mouvement de curiosité autour de Montaigne, de l'entretenir et de centraliser les trouvailles. Sa collection est, à cet égard, précieuse. Conservée aujourd'hui tout entière à la Bibliothèque Nationale, j'y ai largement puisé. Le premier, le Dr Payen a appelé l'attention sur les livres qui appartinrent à Montaigne. On verra, par la suite de cet ouvrage, quel profit on peut tirer de ces éléments d'information.

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