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sa charge. Son zèle se refroidit avec le temps, car il sentait mieux que personne tout ce qui lui manquait pour être un magistrat tel qu'il le fallait. Dans le principe, les registres du Parlement de Bordeaux mentionnent assez fréquemment le rôle de Montaigne. Mais ce rôle le plus souvent est rempli à l'extérieur. Dès le 26 novembre 1561, le Parlement décida d'adresser au roi une mission par l'entremise de M. Michel de Montaigne, conseiller, s'en allant en cour pour d'autres affaires ». Et le jeune magistrat partait quelques jours après. Quel était le motif de son voyage? Je ne saurais le préciser, mais il est évident que Montaigne alors recherche les occasions de se présenter à la cour et essaie d'y faire figure. Sa situation à Bordeaux ne le satisfait pas complètement; il rêve autre chose et s'efforce de parvenir plus haut. L'ambition est légitime de la part d'un esprit de sa valeur. Cependant elle ne fut pas remplie et Montaigne en ressentit quelque humeur. C'est un peu au regret de n'avoir pas été employé utilement que nous devrons plus tard l'éloignement solitaire du philosophe. Celui-là « fait des Essais qui ne saurait faire des effets », dira-t-il lui-même. Maintenant, jeune et vigoureux comme il l'était, plein de flamme et d'entrain, au lieu de se terrer dans sa province, n'était-il pas plus naturel qu'il cherchât à se mêler aux affaires et aux hommes en vue?

La missive dont Montaigne était porteur concernait les troubles religieux de Bordeaux et de la Guyenne. C'était la question la plus importante du moment; dans cette partie de la France, elle était

MONTAIGNE.

II

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particulièrement ardente. Quelques mois après, la reine-mère essaya de l'apaiser par le célèbre édit de janvier 1562. Après avoir vainement cherché à terrasser l'hérésie, Catherine de Médicis prenait, sur les conseils de L'Hospital, le parti de la tolérer et permettait aux réformés l'exercice de leur culte sous certaines conditions. Les gens sensés et conciliants applaudirent à cette mesure, et La Boétie se fit l'interprète de cette élite dans des mémoires sur cet édit qui ne nous sont point parvenus, parce que Montaigne n'a pas cru devoir les publier, leur trouvant « la façon trop délicate et mignarde pour les exposer au grossier et pesant air d'une si mal plaisante saison ». On peut voir ailleurs plus amplement par suite de quelles mauvaises volontés cette détermination de Catherine de Médicis demeura inefficace. Cette sage tolérance devançait trop l'époque pour espérer qu'elle passât si aisément dans les mœurs. Les Parlements, qui avaient enregistré l'édit de janvier avec plus ou moins de bonne grâce, s'efforcèrent de le mal appliquer et d'en restreindre la portée. De leur autorité privée, ils essayèrent de décider qu'aucun officier du roi ne pourrait assister aux prêches. Puis, craignant de contenir dans leur sein des membres affiliés à l'hérésie, ils s'avisèrent de demander que tous les gens de justice fissent profession de la religion catholique et romaine. C'est le Parlement de Paris qui donna l'exemple. Le samedi 6 juin 1562, toutes chambres assemblées,

1. Paul Bonnefon, Œuvres complètes d'Estienne de La Boétie, Introduction, p. xxxI.

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il décidait que ses membres feraient profession publique de la religion catholique, attesteraient sous şerment qu'ils acceptaient les articles promulgués par la Sorbonne en mars 1543 et agréés par la Cour en juillet de la même année et signeraient le procèsverbal de cette prestation de serment. Quatre jours après, le mercredi de la semaine suivante, le procureur général requérait l'exécution de cette décision qui fut remplie sans retard.

A cette date, Montaigne se trouvait à Paris. Il vint se présenter au Parlement et demanda qu'on l'admît également au serment. Voici en quels termes les registres conservent la mention de ce fait : « Ledit jour (vendredi 12 juin 1562), maître Michel de Montaigne, conseiller au Parlement de Bordeaux, a fait la révérence à la Cour et l'a suppliée, pour avoir voix délibérative à l'audience d'icelle, être reçu à faire profession de foi, suivant ce qu'il avait été averti avoir été ordonné par arrêt d'icelle Cour du sixième de ce mois; ce qu'il a fait ès mains de Monsieur le Premier Président et a signé au rang des conseillers de ladite Cour1. Cette demande, on le voit, était toute spontanée de la part de Montaigne. Il convient de le faire remarquer, car il semble qu'elle contienne autre chose qu'une démarche de courtoisie.

On considérait alors les Parlements comme les membres d'un tout, un et indivisible, et leurs conseillers étaient réputés faire partie du même corps. Montaigne pouvait donc, en vertu de ce principe, demander et obtenir entrée au Parlement de Paris. Quand il le fit, des circonstances spéciales donnaient à sa requête un caractère particulier. Quelques jours auparavant, la Cour avait pris une résolution fort nette, qui venait d'être appliquée. Pourquoi Montaigne demanda-t-il à s'y soumettre, lui que rien n'obligeait à cela? Entendait-il donner de la sorte son approbation à une mesure qui restreignait les édits de tolérance? Voulait-il montrer par là qu'il ne lui coûtait pas de faire profession ouverte de la religion romaine? Il est intéressant de constater la spontanéité de la détermination. Quand Montaigne venait ainsi prêter serment de catholique sans y être convié, les cours de province n'avaient pas encore exigé de leur personnel une pareille affirmation. A Bordeaux, notamment, la décision ne fut prise qu'un mois après, le 17 juillet, et on l'exécuta seulement dans la séance du 24 juillet, chacun venant faire adhésion entre les mains du Premier Président1. Il en fut de même, avec plus ou moins de facilité, à Rouen et à Toulouse 2. Pourquoi Montaigne prit-il les devants? Faut-il en conclure que l'attitude du Parlement de Paris lui sembla excellente? Peutêtre. En ce cas, il ne serait pas le seul dont la jeunesse se montra moins tolérante que l'âge mûr. Montaigne resta alors assez longtemps éloigné de

1. Archives nationales, X, 1602, fo 384.

1. Boscheron des Portes, Histoire du Parlement de Bordeaux, t. Ier, p. 155. - E. Gaullieur, Histoire de la Réforma. tion à Bordeaux, t. Ier, p. 415.

2. A. Floquet, Histoire du Parlement de Normandie, 1840, in-8°, t. II, p. 416. - Dubédat, Histoire du Parlement de Toulouse, 1885, in-8°, t. Ier, p. 409.

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SCÈNES DE LA VIE DES BRÉSILIENS.

Spectacle donné au roi Henri II, à Rouen, en 1550.

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