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Revenons pour un instant encore à Mme de Montaigne. Veuve, elle s'était fixée à Montaigne, y vivant fort retirée et vouée au culte de son mari. La correspondance publiée redit bien les préoccupations de cette existence solitaire. Ce sont les soucis domestiques qui l'emportent. Parfois, cependant, la vieille dame, au milieu de ses propres tracas, s'inquiète des affaires du pays; elle fait part à son confesseur de ses appréhensions et de ses craintes. « Mon très Révérend Père, lui écrit-elle, le 31 août 1619, dans une lettre fort intéressante, nous ne savons rien ici de nouveau ni de la cour ni d'ailleurs. On dit que la reine est partie d'Angoulême pour aller trouver le roi. >> La reine-mère s'était, en effet, échappée de Blois, avec l'aide du duc d'Épernon, et s'était réfugiée à Angoulême. - « Je ne sais s'il est vrai, et pour la meilleure nouvelle que je vous puis mander, mon cher Père, c'est que Dieu m'a fait la grâce de tenir par sa main puissante mon âme en assez tranquille état, et que lorsque j'aurai cet heur de vous voir, j'espère que je serai encore mieux. Continuez-moi en vos prières et oraisons, lesquelles jusqu'ici m'ont grandement profité, si me semble. »

Ne croirait-on pas retrouver dans ces paroles un écho lointain de la résignation de Montaigne, mais d'une résignation plus religieuse que philosophique, inspirée plus par la foi que par la sagesse? Cependant, au bruit des guerres qui recommencent, cette tranquillité d'esprit disparaît, et lorsque le sang coule de nouveau, la femme s'émeut à cette pensée. Elle écrit en 1622: «Nous sommes ici à regretter les peines et les déplaisirs que notre bon roi reçoit de ses ennemis; c'est une grande calamité de voir la perte d'hommes que la France fait. » Seuls les malheurs de la patrie troublent la solitude de cette existence.

C'est ainsi que Mme de Montaigne passa, à Montaigne, les trente-cinq années de sa viduité. C'est dans sa solitude qu'elle vit disparaître successivement ceux qui lui étaient chers: sa fille unique, Léonor, mourut le 23 janvier 1616; auparavant celle-ci avait perdu son premier mari, François de Latour, et l'unique enfant, Françoise de Latour, issue de cette union 1. Il est vrai que du second mariage de Léonor de Montaigne avec Charles de Gamaches était née une seconde petite-fille, Marie de Gamaches, et elle consolait la vieillesse de l'aïeule. C'est Marie de Gamaches qui veilla sur les derniers jours de sa grand'mère et qui lui ferma les yeux 2. Mme de Montaigne était, au reste, bien préparée à la mort. « Il est certes temps que vous m'aidiez à offrir mon âme à Dieu, écrit-elle au R. P. Marc-Antoine, et me résoudre à toutes ses saintes volontés. » Quelques mois après, elle trépassait, en mars 1627, à l'âge de quatre-vingt-trois ans. Elle avait survécu trente-cinq ans à son mari, toujours fidèle à la mémoire du grand homme, gardienne vigilante et dévouée de la gloire de l'écrivain. Elle fut inhumée avec la pompe qui convenait à son rang. Douze prêtres conduisirent son corps à l'église de Saint-Michel-deMontaigne, et les cloches des neuf paroisses environnantes sonnèrent le glas pendant la funèbre cérémonie. Un peu plus tard, en dressant l'inven. taire de la défunte, parmi les objets qu'elle gardait pieusement, on trouva un collier de l'ordre de Saint-Michel. C'était le propre collier de Michel de Montaigne, suprême souvenir d'un mari qu'elle avait tant honoré.

1. Mariée à Honoré de Lur, Françoise de Latour mourut en couches. Son fils Charles de Lur, vicomte d'Aureilhan, né en 1612, fut tué, à l'âge de vingt-sept ans, au siège de Salces en Roussillon, en 1639.

2. Marie de Gamaches épousa, en 1627, Louis de Lur, frère puîné d'Honoré de Lur, mari de sa sœur utérine Françoise de Latour. Le fils de celle-ci étant mort sans postérité, Marie de Gamaches a seule perpétué la descendance de Montaigne. C'est de sa fille, Claude-Madeleine de Lur, que descendent les SégurMontaigne qui héritèrent de la terre, et l'ont cédée aux propriétaires actuels. (Th. Malvezin, Montaigne et sa famille, p. 195.)

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Les Eyquem. Michel abandonne le nom patronymique. - Ramon Eyquem, bisaïeul
de Michel, marchand à Bordeaux, enrichit la famille et acquiert la maison noble de
Montaigne. - Grimon Eyquem, fils de Ramon, continue et accroit le négoce de son père.
Il devient jurat et prévôt de Bordeaux et ménage à ses enfants des alliances honorables. -
Pierre Eyquem, fils ainé de Grimon et père de Michel. Son humeur aventureuse. Il est
soldat et fait les guerres d'Italie. Son mariage, au retour, avec Antoinette de Louppes.
Devenu maire de Bordeaux, il embellit son domaine de Montaigne et donne à son nom un
éclat qu'il n'avait pas eu jusque-là.

CHAPITRE II.

-

La jeunesse de Montaigne.

...

27 à 62
Naissance de Michel Eyquem de Montaigne. De pauvres gens le tiennent sur les fonts
baptismaux. - Première éducation de l'enfant sous la direction d'un pédagogue allemand.
On ne lui apprend que le latin. - Entrée de Michel au Collège de Guyenne. Prospérité
de cet établissement sous l'impulsion d'André de Gouvéa. - Plan des études.
Vie des
écoliers. Montaigne écolier. Ses maitres: Buchanan, Elie Vinet, Muret, - Michel prend
ses grades en droit, sans doute à l'Université de Toulouse.

CHAPITRE III. - Montaigne magistrat

......

63 à 124

Fondation par Henri II d'une Cour des Aides à Périgueux. Pierre Eyquem figure au
nombre des conseillers et son fils lui succède. - Incorporation de cette Cour au Parlement
de Bordeaux. - Difficultés et lenteurs de cette mesure. Róle que Montaigne y joue.
Montaigne conseiller à Bordeaux. Ses aptitudes et ses goûts. - Il vient à Paris et suit la
Cour à Rouen. - Montaigne et La Boctie. Caractère de leur liaison. - Mariage de
Montaigne avec Françoise de La Chassaigne. - Mort de Pierre Eyquem. - Montaigne
cède sa charge de conseiller au Parlement. - Publication de la Théologie naturelle de
Raymond de Sebonde et des opuscules de La Bočtie.

MONTAIGNE

63

PAGES

CHAPITRE IV. - Montaigne chez lui....... 125 à 190

Montaigne se retire à la campagne. Son isolement a deux causes: le souci de ses
intérêts de propriétaire et le désir de se ménager une retraite selon ses goûts. Solitude
de Montaigne dans la tour dont il fait sa résidence favorite.- Description de sa « librai-
rie >> : les peintures, les sentences et les livres. - Montaigne lit et médite. Il passe rapidement
sur les livres qui n'éveillent pas ses réflexions, s'attardant au contraire sur ceux qui le
stimulent et le font penser. - Quels auteurs il lit et comment il les lit. - Les annotations
de Montaigne sur ses livres: l'exemplaire de César. - Vie de famille de Montaigne: ses
enfants. - Son intervention dans les affaires publiques. Le duc de Montpensier le dépêche
auprès du Parlement de Bordeaux. Charles IX le fait chevalier de Saint-Michel, et Henri
de Navarre gentilhomme de sa chambre.

CHAPITRE V. - Les Essais............

191 à 252

La publication des Essais: leur succès. - Comment Montaigne les a-t-il composés? -
Ce qu'ils contiennent. Dangers de se peindre soi-même. Montaigne les a-t-il évités?
- Les sources de l'inspiration philosophique de Montaigne. - Les livres saints. - La
sagesse antique: Socrate, Platon, Aristote, Cicéron. - Ses préférences pour Sénèque et
Plutarque. Ce qu'il prit à l'un et à l'autre. Les lectures de Montaigne confirment ses
idées et l'encouragent à écrire. - It cherche à peindre l'homme en général et ne se prend
pas pour une exception. - Montaigne écrivain: sa véritable place au xvIe siècle. Son style.
Son bon sens et sa bonne humeur. - Le Gascon en Montaigne. - Sa tolerance doit être
rapprochée de celle de Henri IV. - Le vrai tempérament de Montaigne se montre surtout
dans la première édition des Essais.

CHAPITRE VI. - Montaigne en voyage......

253 à 306

Montaigne vient à la Cour après la publication de son livre. - Il entreprend de
voyager pour soigner sa gravelle. Humeur de Montaigne voyageur: il aime le change-
ment, et cet état d'esprit se fait jour dans son Journal de voyage. Les bains de Plombières.
- Montaigne en Allemagne et en Suisse: Mulhouse, Bale, Bade, la Bavière et le Tyrol.-
Ardeur de voyage de Montaigne. - Montaigne en Italie: Venise, Ferrare, Florence. -
Montaigne à Rome: ce qu'il y cherche et ce qu'il y observe. Son jugement sur la Ville
éternelle. - Les bains della Villa. - Montaigne, absent, est élu maire de Bordeaux. - 11
retourne à Rome et, peu après, rentre en France, après un éloignement de plus de dix-sept
mois.

CHAPITRE VII. - Montaigne maire de Bordeaux 307 à 412

Situation des partis à Bordeaux et en Guyenne au moment de l'élection de Mon-
taigne. Causes de cette élection. - Le maréchal de Biron, prédécesseur de Montaigne.
Montaigne n'accepte pas sans hésitation la désignation de ses concitoyens. Caractère
de la mairie de Bordeaux. - Les temps sont calmes: le nouveau maire n'a qu'à faire des
offices de courtoisie et à s'occuper d'administration locale. - Il assiste à l'installation des
commissaires de Guyenne et none des relations avec de Thou et avec Loisel. - Il va
en Cour. - Différend avec le gouverneur du château Trompette. - A l'expiration de son
mandat, Montaigne est élu maire une seconde fois et maintenu en fonctions, malgré les
protestations. Remontrances de la municipalité bordelaise au roi au sujet des impôts.

-

Montaigne approuve le plan d'études du Collège de Guyenne. - Remontrances à
Henri de Navarre. Correspondance de Montaigne avec Du Plessis-Mornay. - Réédi-
fication de la tour de Cordonan. Henri de Navarre visite Montaigne chez lui. - La
situation s'aggrave: ses dangers. - Correspondance de Montaigne avec le maréchal de

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