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là même qui avait succédé au Parlement à Michel de Montaigne, quarante ans auparavant. - C'est dans la crypte funéraire de cette chapelle que Mme de Montaigne fit déposer, le 1er mai 1614, le corps de son mari, décédé depuis plus de vingt ans; c'est là aussi que la fille unique de l'auteur des Essais ne tarda pas à venir le rejoindre (1616). Longtemps cependant après cette cession, le cercueil de Florimond de Raymond était demeuré dans le caveau où reposaient les restes de Montaigne. On voit dans les quelques lettres de Mme de Montaigne, découvertes et publiées récemment, combien elle se préoccupait de l'exhumation de « ce corps, qui lui causait tant de déplaisir ».

Enfin, le tombeau de Montaigne put être érigé. Les Révérends Pères avaient mis beaucoup de mauvaise volonté à se conformer à leurs engagements. Devant la menace d'un bon procès, ils consentirent une transaction notariée, et, reconnaissant Mme de Montaigne « pour leur première bienfaitrice », ils lui accordaient ce qu'elle réclamait si instamment, c'està-dire la chapelle la plus voisine du maître-autel et le droit d'y faire figurer les armes de son mari. Mme de Montaigne promettait de son côté de « faire ôter au plutôt le sépulcre et effigie dudit feu sieur de Montaigne du lieu où il est dans l'ancienne église ». C'était un monument en pierre de Taillebourg; un sarcophage rectangulaire est posé sur un socle et supporte la statue de Montaigne, couché et revêtu d'une armure de chevalier. Les mains sont jointes pour la prière; le casque est déposé derrière

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la tête; les gantelets sont à côté du corps; aux pieds, un lion couché. On risquerait de ne pas reconnaître le paisible Montaigne sous cet appareil guerrier, si les épitaphes ne nous éclairaient pas absolument à ce sujet. Des deux côtés les armoiries sont gravées, et, au-dessus, deux épitaphes, l'une en distiques grecs, l'autre en prose latine. Contrairement à ce qu'on espérait tout d'abord, il ne paraît pas que ce soit Juste-Lipse qui les ait rédigées; tout concourt, au contraire, à faire croire qu'elles sont l'œuvre d'un érudit bordelais, avocat au Parlement, Jean de Saint-Martin 1.

« Qui que tu sois, disent les vers grecs, qui, en voyant cette tombe et mon nom, demandes: Montaigne est-il donc mort? cesse de t'étonner. Corps, noblesse, félicité menteuse, dignités, crédit, jouets périssables de la fortune, rien de cela n'était mien. Rejeton divin, je suis descendu du ciel sur la terre des Celtes, non point huitième sage de la Grèce ni troisième de l'Ausonie, mais unique, égalant à moi seul tous les autres, et par la profondeur de ma sagesse, et par les charmes de mon langage, moi qui, au dogme du Christ, alliai le scepticisme de Pyrrhon. La jalousie s'empara de la Grèce; elle s'empara de l'Ausonie, mais j'arrêtai moi-même cette rivalité jalouse en remontant vers ma patrie, en reprenant mon rang au milieu des esprits célestes. »

1. C'est ce que M. R. Dezeimeris a mis en pleine lumière par d'ingénieux rapprochements, dans ses Recherches sur l'auteur des épitaphes de Montaigne (Paris, 1861, in-8°). Nous reproduisons ici l'excellente traduction que M. Dezeimeris a donnée dans son ouvrage des deux textes, grec et latin, restitués par lui.

L'épitaphe latine est plus précise. La voici : << A Michel de Montaigne, périgourdin, fils de Pierre, petit-fils de Grimond, arrière-petit-fils de Rémond, chevalier de Saint-Michel, citoyen romain, ancien maire de la cité des Bituriges Vivisques, homme né pour être la gloire de la nature, et dont les mœurs douces, l'esprit fin, l'éloquence toujours prête et le jugement incomparable ont été jugés supérieurs à la condition humaine; qui eut pour ami les plus grands rois, les premiers personnages de France, et même les chefs des partis de l'erreur, bien que très fidèlement attaché lui-même aux lois de sa patrie et à la religion de ses ancêtres. N'ayant jamais blessé personne, incapable de flatter ou d'injurier, il reste cher à tous indistinctement; et comme durant toute sa vie il avait fait profession d'une sagesse à l'épreuve de toutes les menaces de la douleur, ainsi, arrivé au combat suprême, après avoir longtemps et courageusement lutté avec un mal qui le tourmenta sans relâche, mettant d'accord ses actions et ses précep. tes, il termine, Dieu aidant, une belle vie par une belle fin.

> Françoise de La Chassaigne, laissée en proie, hélas! à un deuil perpétuel, a érigé ce monument à la mémoire de ce mari regrettable et regretté. Il n'eut pas d'autre épouse: elle n'aura pas eu d'autre époux.

>> Il vécut cinquante-neuf ans sept mois et onze jours; il mourut l'an de grâce 1592, aux ides de septembre. >>

Telle était la façon, pour ainsi dire officielle, dont on appréciait les doctrines du philosophe peu de temps après sa mort. Montaigne méritait de reposer en paix à jamais sous le marbre qui demandait pour lui aussi éloquemment le respect de la postérité. Ce repos fut pourtant troublé par des vicissitudes diverses. Après être demeuré deux siècles dans l'église des Feuillants, la dépouille de Montaigne fut transportée, en 1800, avec une grande solennité, dans le musée de la ville de Bordeaux. Des cavaliers, des artilleurs, des gardes nationaux précédaient le corps qu'accompagnaient les autorités municipales et celles du département. Mais on ne tarda pas à reconnaître qu'il y avait eu erreur. Les cendres auxquelles tous ces honneurs avaient été rendus n'étaient point celles de Montaigne, mais bien celles de sa nièce, Jeanne de Lestonnac. En réalité, la dépouille de Montaigne n'avait pas quitté le tombeau où elle avait été placée deux cents ans auparavant. Elle y demeura encore jusqu'au mois de mai 1871. A cette date, un incendie chassa le tombeau de Montaigne hors de l'édifice qu'il avait si longtemps occupé. On le transporta plus tard dans le vestibule d'entrée des Facultés de Bordeaux, construites sur l'emplacement du couvent et de l'église des Feuillants. C'est là qu'on le voit actuellement, tandis qu'on n'a pu retrouver le petit vaisseau contenant le cœur de l'illustre philosophe et qui fut déposé, à son décès, dans l'église de Saint-Michel-de-Montaigne.

1. Voyez, sur le transfert des cendres de Jeanne de Lestonnac au musée de Bordeaux, les Archives historiques de la Gironde, t. XIV, p. 55 et suiv.

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