établissements d'alors, le fouet était permis dans les fautes graves contre la discipline; rien ne peut faire croire qu'il fut employé avec cruauté. Mais qu'est la lettre d'un règlement? Ce sont les hommes qui l'appliquent qui en font souvent la douceur ou la rigueur. Montaigne eut-il quelque maître trop dur, un régent enclin à punir trop sévèrement les fautes de ses élèves? C'est possible et le système d'éducation suivi en ce temps semble confirmer cette hypothèse. On le sait, les écoliers, qu'ils fussent internes ou qu'ils habitassent au dehors, avaient, en outre des professeurs dont ils suivaient les leçons, des précepteurs particuliers. Montaigne les appelle des précepteurs domestiques, des précepteurs de chambre; le règlement les désigne sous le nom de pédagogues. Leur action sur l'élève était incessante. Hors des heures de classe, les écoliers se retiraient dans leurs chambres, les collèges d'alors n'ayant pas, comme les nôtres, de salles d'études. Là, réunis par groupes de quatre ou de six, les enfants travaillaient, préparant leurs devoirs ou apprenant leurs leçons, sous la surveillance d'un précepteur particulier. Parfois celui-ci était le principal ou les maîtres eux-mêmes, car, pour augmenter leurs revenus, le principal et les maîtres prenaient chez eux des pensionnaires dont ils s'occupaient spécialement et dont ils dirigeaient plus particulièrement les travaux. Le plus souvent, des pédagogues, uniquement chargés de cette besogne, veillaient à ce qu'un petit nombre d'élèves qui leur était confié MONTAIGNE. 6 exécutât les recommandations des professeurs. Ces pédagogues n'avaient pas grand savoir et, bien que peu instruits, se mêlaient cependant de donner à leurs élèves des notions erronées. Ils n'avaient pas davantage le droit de sévir contre leurs pupilles et la douceur leur était recommandée. Était-ce une raison pour que leurs réprimandes fussent toujours pleines de mansuétude? Leurs petites victimes d'alors ne sauraient nous le dire aujourd'hui. Montaigne écolier eut-il à souffrir de ces rudesses? Sans doute, puisqu'il en garde un si mauvais souvenir. S'il en fut ainsi, elles ne durent pas avoir grand effet moral, car sa nature, un peu renfermée, les tolérait en silence et ne cédait pas à la violence. Son père cependant avait pris des mesures pour que l'enfant ne fût mal traité à aucun égard. Michel lui en rend le témoignage. « Il n'est possible, dit-il en parlant de son père, de rien ajouter au soin qu'il eut et à me choisir des précepteurs de chambre suffisants, et à toutes les autres circonstances de ma nourriture, en laquelle il réserva plusieurs façons particulières contre l'usage des collèges. » Mais, comme il l'ajoute : < tant y a, que c'était toujours collège. » L'enfant s'était assez difficilement assoupli à cette discipline en commun. Accoutumé à la liberté et au grand air, il se pliait mal à la contrainte des leçons et des cours, non qu'il fût mauvais élève, mais nonchalant et paresseux. Son esprit, un peu lourd, ne savait pas s'appliquer aux besognes imposées et tracées; comme il l'a reconnu, le danger n'était pas qu'il fit mal, mais qu'il ne fit rien. C'est un précepteur, « homme d'entendement, » qui secoua cette torpeur, car le rôle de ces auxiliaires pouvait être fort utile, à l'occasion, dans l'enseignement. Par la suite même de ses études, Michel, âgé de sept ou huit ans, était arrivé à traduire Ovide; - nous avons vu qu'on en expliquait un fragment dans la classe de cinquième. - Cette lecture l'enchanta, le ravit. Séduit par les visions d'une imagination riante, l'écolier prit goût aux fantaisies du poète. Son précepteur devina quel parti il pouvait tirer d'un semblable stimulant. Il sut donner à Ovide l'attrait du fruit défendu, et l'enfant, pris d'une belle ardeur, se passionna pour la poésie latine. Des Métamorphoses qui l'avaient si fort charmé, il passa sans débrider à Virgile et à l'Énéide, puis à Térence, à Plaute, même aux comédies italiennes, « leurré toujours par la douceur du sujet ». L'étincelle avait jailli, et maintenant, grâce au bon sens du pédagogue, la flamme échauffait cette nature indolente. << S'il eût été si fol de couper ce train, dit Montaigne de son précepteur, j'estime que je n'eusse rapporté du collège que la haine des livres, comme fait quasi toute notre noblesse. >> Sans doute, les véritables tendances de l'âme finissent toujours par se montrer. Sachons gré pourtant à ceux qui aident à leur éclosion. Pour Montaigne enfant, le mérite revient à ce « précepteur de chambre > ignoré, et aussi à un goût fort prononcé que l'écolier avait pour le théâtre. Nous venons de voir que sa lecture favorite était celle des comiques latins ou italiens. Il se plaisait aussi extrêmement à l'interprétation des œuvres scéniques, car, au Collège de Guyenne, les représentations dramatiques entraient dans les moyens d'éducation. Gouvéa avait compris qu'en usant avec intelligence de ces petites mises en scène, il stimulerait les élèves en les intéressant. La classe de neuvième était assez vaste à Bordeaux et avait la disposition d'un théâtre; c'est là probablement qu'on jouait la comédie pour les grandes fêtes, à la Saint-Louis en particulier, le 25 août de chaque année. Pour ce motif, on appelait cette cérémonie les Ludovicales. C'était la plus grande fête du Collège de Guyenne: tous les élèves s'efforçaient de montrer ce jour-là, soit par des argumentations publiques, soit par des devoirs appendus aux murs des salles et des couloirs, les progrès accomplis dans l'année et en faisaient juge le public, qui envahissait l'établissement à cette occasion. D'autres exercices littéraires, plus importants, avaient lieu devant les personnages les plus notables de la ville, jurats et magistrats, chargés de la surveillance du collège et qui se rendaient compte ainsi de la bonne instruction des élèves. C'est sous leurs yeux qu'on représentait des pièces que les régents n'avaient pas dédaigné d'écrire. Georges Buchanan produisit ainsi quatre tragédies, traduites ou imitées de l'antique: un Jean-Baptiste, une adaptation de la Médée d'Euripide, une Jephté et un Alceste, auxquels il donna des soins particuliers. On représentait aussi des pièces composées pour d'autres collèges, et le Jules César de Muret, qui avait vu le jour à Auch, fut transporté sur la scène du Collège de Guyenne. La plupart des maîtres s'efforçaient de contribuer à ces délassements par quelque intrigue de leur invention. Si peu d'entre eux osaient se hausser sur le cothurne tragique, presque tous maniaient la raillerie ou dialoguaient quelques conseils de circonstance. Presque rien de tout cela ne nous est parvenu. Les tragédies de Guillaume Guérente sont perdues, et les autres pièces, - allégories, moralités, farces, -- toujours en latin, sont encore plus rares, car, étant d'un genre littéraire moins relevé, leurs auteurs n'ont pas pris soin de les faire imprimer. C'était pourtant ces œuvres d'occasion qui faisaient le fond ordinaire du théâtre d'éducation. Les farces égayaient les écoliers, et, sous le couvert de la moralité, on pouvait mettre en action un précepte utile ou un bon conseil. Les maîtres en usaient donc volontiers. Je ne connais pourtant aucun exemple qui nous soit arrivé tel que les petits élèves du Collège de Guyenne l'ont jadis représenté. On trouvera un échantillon, sensiblement modifié, de ce théâtre éducateur dans un des opuscules de Robert Britannus, professeur à Bordeaux. C'est une moralité sur la vertu et la 1. Rob. Britanni de Ratione consequendæ eloquentiæ liber, çui adjunctum est jocosum fictis introductis personis et rerum simulachris de virtute et voluptate et paterno amore, in liberos colloquium, studiosis discendi adolescentibus perutile. Parisiis, apud Lud. Grandinum, 1544, in-8o de 48 pp. - On lit dans l'Argumentum (p. 29): «Hoc quidem totum quondam Burdigalæ actum est κωμικῶς, sed res postea, pluribus immutatis sublatis etiam actibus et magna ex parte versibus, ad colloquium est redacta. Hic etiam licet notas et vestigia videre paterni amoris in suos, qui tantum est ut ne minimum quidem ad spirandum relinquat locum. >>> |