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ment à Bordeaux, à l'élection de cette mairie, j'étais quasi prêt de m'y acheminer, de peur de quelque inconvénient, afin que je ne fusse en peine de m'excuser, mais ayant reçu les lettres de Votre Majesté et voyant qu'elle y envoie, je me suis arrêté en ce lieu (à Biron), afin que le roi de Navarre ne trouve aucun prétexte. » Le plan de cette campagne n'échappait pas à celui-ci. Henri de Navarre avait les yeux fixés sur Biron, et lui-même écrivait de son côté : « Nous sommes assez avertis (que le maréchal) est maintenant à faire ses pratiques, pour la mairie de Bordeaux, de laquelle il sort ce premier jour d'août, prétendant se faire continuer ou substituer son fils, ou bien le sieur de Duras ou quelque autre fait à sa poste 1. > Ainsi déjoué, Biron ne put réussir: ni le père ni le fils ne furent élus. Les Bordelais leur préférèrent Montaigne, et ce choix cadrait trop parfaitement avec les préoccupations du moment pour croire qu'il fut tout à fait spontané.

Sans doute, en portant ses suffrages sur Montaigne, le Corps de ville de Bordeaux avait voulu honorer la renommée naissante de son compatriote. Il est permis de croire qu'il n'y eût pas si effectivement songé si on n'avait eu le soin de lui rafraîchir la mémoire. Certes, Montaigne ne prit aucune part à la brigue, mais ses amis, le marquis de Trans, Henri de Navarre lui-même, stimulèrent apparemment la bonne volonté des Bordelais et leur rappelèrent les mérites de l'absent: l'un et l'autre portaient assez de sympathie à Montaigne pour activer, s'il en fût besoin, une élection qui secondait leurs vues.

1. Lettre de Henri de Navarre à M. de Bellièvre, du 6 juillet 1581. Lettres missives de Henri IV, publiées par Berger de Xivrey, t. I, p. 286.

Henri de Navarre souhaitait la paix et il voulait que les idées de conciliation pénétrassent dans les esprits sous les auspices d'hommes modérés. Il désirait aussi maintenir sa situation en Guyenne et ne se souciait pas que l'apaisement des passions fût nuisible à son autorité. Pour appliquer la nouvelle politique, il ne fallait pas être antipathique à sa personne. Ne pouvait-il pas compter sur Montaigne à cet égard? Jusque-là, Montaigne ne s'était inféodé à aucun parti et le soin qu'il avait pris de ne servir d'aucun côté ne l'avait rendu suspect à personne. Peut-être qu'il y avait aussi, de la part du roi de Navarre, un calcul plus secret. Bordeaux était la clef de la Guyenne. Maîtresse par sa situation du haut et du bas de la Garonne, c'était une position très importante sur laquelle les Protestants avaient les yeux fixés; à elle seule, elle valait mieux que toutes leurs autres possessions. Comment ce philosophe, accoutumé jusqu'alors à la vie retirée et fort peu fait pour l'action, allait-il se tirer de ses nouvelles fonctions ? Sans doute, le souci de cette place impor. tante ne pesait pas tout entier sur lui seul; pourtant sa charge était assez haute pour qu'un manque de vigilance pût avoir, dans des circonstances critiques, les conséquences les plus graves. Si le roi de Navarre nourrit jamais l'espoir caché de profiter d'une pareille nonchalance, l'avenir vint le désabuser.

Montaigne n'accepta pas sans hésitation d'être maire de Bordeaux. Lui aussi se demanda s'il était bien fait pour une pareille charge, et peut-être l'eût-il refusée si une haute intervention ne l'avait contraint d'accepter. En rentrant chez lui de son voyage d'Italie, le 30 novembre 1581, il trouva une lettre du roi Henri III, du 25 du même mois, qui le pressait de remplir ces fonctions. Déjà nous avons reproduit le texte de cette missive et on a pu voir que le langage en était trop net et, en même temps, trop flatteur pour que Montaigne ne s'y conformât pas aussitôt. Comme Henri de Navarre, le roi de France voyait un grand avantage à ce qu'un homme qui ne s'était pas mêlé aux discordes civiles fût ainsi placé à la tête de la municipalité bordelaise. Henri III connaissait Montaigne, qui était chevalier de son ordre et gentilhomme de sa chambre et lui avait déjà donné des preuves de son dévouement. Aussi le roi était-il en droit de compter sur le zèle du nouveau maire de Bordeaux.

Montaigne accepta donc les fonctions que ses concitoyens lui avaient confiées; mais il semble qu'il n'entra pas en charge aussitôt. Après être demeuré si longtemps éloigné de chez lui, il prenait plaisir à se retrouver là où s'étaient écoulées les années les plus heureuses de son existence; il avait besoin de reprendre possession de lui-même et de se retremper dans un repos réparateur. La première lettre de lui en qualité de maire qui nous soit parvenue est destinée à excuser son absence auprès des jurats de la ville de Bordeaux. « Vous avez mis tout l'ordre qui se pouvait aux affaires qui se présentaient, leur écrit

MONTAIGNE.

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il, le 21 mai 1582, c'est-à-dire plus de cinq mois après sa rentrée à Montaigne. Les choses étant en si bons termes, je vous supplie excuser encore pour quelque temps mon absence que j'accourcirai sans doute autant que la presse de mes affaires le pourra permettre. J'espère que ce sera peu; cependant vous me tiendrez, s'il vous plaît, en votre bonne grâce et me commanderez, si l'occasion se présente, de m'employer pour le service public. » Le besoin ne paraît pas s'en être fait immédiatement sentir. La Guyenne était alors moins troublée qu'auparavant et l'office de Montaigne était surtout honorifique.

Quel était le caractère véritable des fonctions de maire de Bordeaux au moment où Montaigne en fut investi? L'origine de cette charge est fort ancienne: elle remonte tout au moins au commencement du XIIIe siècle, et nous ne saurions mentionner, même brièvement, les modifications qui y furent apportées dans la suite des temps. Disons seulement qu'au début le maire de Bordeaux était élu par les jurats de la ville et qu'il en fut ainsi jusqu'en 1261. A partir de cette date, le maire fut nommé par le roi d'Angleterre, puis par le roi de France quand la Guyenne cessa d'appartenir aux Anglais. C'est Henri II, en 1550, qui rendit de nouveau la mairie de Bordeaux élective, en restituant à cette ville les privilèges

1. Découverte par M. Gustave Brunet aux Archives de la ville de Bordeaux et publiée par lui dans le Bulletin du Bibliophile, juillet 1837. - Voy. aussi Champollion-Figeac, Documents inédits, t. II, p. 484; - Dr Payen, Documents inédits ou peu connus sur Montaigne, 1847, p. 19; - Grün, Vie publique de Montaigne, p. 245.

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