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accoutumer un jeune enfant à parler une langue étrangère. Faut-il aller jusqu'à croire que son fils

BVCHANANVS

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GEORGIVS

ATA SVÆ 76.

GEORGES BUCHANAN.

D'après les Icones virorum illustrium de J.-J. Boissard et Th. de Bry.

n'entendait alors, ainsi qu'il le dit lui-même, « non plus de français ou de périgourdin que d'arabesque » ? En ce cas, le nouveau système aurait trop bien réussi et eût été poussé trop avant : l'intelligence malléable de l'enfant pouvait fort bien s'accommoder de l'enseignement simultané de deux langues. Mais ne chicanons pas un novateur qui ne pouvait juger des effets de sa tentative. Celui-ci, au reste, n'y eut pas foi jusqu'au bout. Craignant de faire fausse route en s'égarant ainsi du sentier battu, Pierre Eyquem voulut se conformer à la coutume et mit son fils au collège, vers 1539. C'était déjà un énorme avantage pour Michel sur ses jeunes condisciples que d'avoir ainsi son latin « si prêt et si à main ». En présence d'un écolier dressé de la sorte, les maîtres eux-mêmes étaient surpris et craignaient de l'aborder. Pierre Eyquem n'avait pas perdu le fruit de son initiative.

Franchissons avec Michel de Montaigne le seuil du Collège de Guyenne. Les années de l'enfance sont si fécondes en impressions durables qu'il importe de connaître les lieux où elles se sont écoulées. Les plus beaux jours de cet établissement avaient commencé à luire. Désireux de donner au Collège de Guyenne tout ce qui pouvait le rehausser, les jurats de Bordeaux s'étaient adressés, au commencement de 1534, au Portugais André de Gouvéa, qui dirigeait alors, à Paris, le Collège de SainteBarbe. Celui-ci accepta de venir à Bordeaux: il y arrivait le 12 juillet 1534, et prenait aussitôt l'engagement de restaurer l'enseignement des lettres latines dans la cité. C'était un homme vraiment né pour élever la jeunesse, fort au courant des méthodes d'éducation de son temps et expert en la connaissance des maîtres. Sa bienfaisante influence ne tarda pas à se faire sentir. Il avait su amener avec lui de bons professeurs, qui, à sa suite, n'avaient pas craint d'abandonner l'enseignement parisien. Les élèves abondèrent bien vite et la prospérité de l'établissement arriva à grands pas. « Si tu veux des nouvelles du collège, écrivait un maître d'alors à un de ses amis, je te dirai qu'il est entré largement et sérieusement dans une voie florissante, grâce à l'activité d'André de Gouvéa, déjà célèbre dans le principalat. Les professeurs sont des hommes érudits et graves. Le nombre des élèves est déjà très grand. Aussi pouvons-nous espérer de voir, avant peu, fleurir dans cette institution l'éloquence et le culte des belles-lettres. >> Cet espoir n'était pas exagéré, et celui qui l'exprimait ne se trompait point.

André de Gouvéa garda la direction du Collège de Guyenne, avec quelques interruptions, jusqu'en 1547, c'est-à-dire pendant tout le séjour que Montaigne y fit. C'est donc sous la haute surveillance de Gouvéa que Michel fut élevé: il le fut suivant la méthode pédagogique de celui qu'il a appelé le plus grand principal de France». Quelle était donc cette méthode? Nous en connaissons les principes par la Schola Aquitanica d'Élie Vinet 2. A son arrivée à

1. Roberti Britanni Epistolæ, fo 46; cité dans l'Histoire du Collège de Guyenne (page 91), de M. E. Gaullieur, à laquelle il faut se reporter pour tous les détails de la vie intérieure de ce célèbre établissement.

2. Burdigalæ, apud S. Millangium, typographum regium. M.D.LXXXIII. - Petit in-8o de 63 pages, plus un feuillet non numéroté sur le verso duquel est l'approbation. L'unique exem

MONTAIGNE.

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Bordeaux, les jurats avaient laissé à Gouvéa le loisir d'établir son programme d'études tel qu'il l'entendait et ne lui avaient guère imposé que la condition de faire les classes « en la forme et manière de Paris ». Le nouveau principal put donc donner carrière à sa propre expérience et importer, au Collège de Guyenne, les nouveautés qu'il avait vu pratiquer au Collège Sainte-Barbe, à Paris. Pour mieux établir son plan, il prit conseil des pédagogues qu'il avait amenés avec lui, de Mathurin Cordier, de Claude Budin et, sans doute aussi, de Nicolas de Grouchy et de Guillaume Guérente, et, sous ces savantes inspirations, le règlement du Collège de Guyenne fut aussi ingénieux qu'il pouvait l'être.

Quelque mûri qu'il ait été, nous ne croyons pas cependant que ce plan d'études fût aussi fixe, aussi définitif que le sont aujourd'hui les règlements de nos collèges. Sur des points qui nous paraissent essentiels maintenant, le règlement du Collège de Guyenne laissait une certaine latitude. Si la filière des classes était nettement établie, leur nombre n'était pas rigoureusement fixé. Il variait au Collège de Guyenne, suivant que les temps étaient mauvais ou prospères: si les élèves abondaient, on multipliait les divisions en créant des classes intermédiaires

plaire connu est conservé actuellement à la Bibliothèque nationale (Réserve, Z 103). Cet opuscule a été de nouveau publié, avec une traduction et un commentaire, par M. Louis Massebieau, sous ce titre: Programme d'études du Collège de Guyenne au XVIe siècle (Paris, 1886, in-8o de 76 pages. Fascicule 7 des Mémoires et documents scolaires publiés par le Musée pédagogique).

entre les classes déjà existantes et non pas en juxtaposant les divisions d'une même classe, comme on le fait de nos jours. Ainsi, au temps de sa plus grande faveur, le Collège de Guyenne avait compté douze classes successives, tandis qu'en temps ordinaire il n'en avait que dix, numérotées de un à dix, depuis les alphabetarii ou jeunes enfants de moins de sept ans qui apprenaient à lire, jusqu'aux primani ou rhétoriciens qui achevaient leurs études de grammaire. Par son âge, c'est dans la dernière classe que Michel de Montaigne aurait dû être placé en entrant au collège, mais le nouvel arrivant savait déjà les éléments, et on lui fit « enjamber > les classes élémentaires.

En quelle classe le jeune écolier fut-il admis? Il n'est guère possible de le préciser, car les classes n'avaient pas alors une longueur uniforme, bien que, d'ordinaire, elles durassent une année révolue. Si on adopte donc cette durée moyenne, Michel de Montaigne dut entrer en septième, à son arrivée, et il demeura sept ans au Collège de Guyenne, menant jusqu'en rhétorique la suite ininterrompue de ses études de grammaire. C'était là le terme ordinaire des cours de collège. La philosophie ou dialectique faisait partie des matières de la licence ès arts, relevant par conséquent de la Faculté des Arts, et c'est pour cela qu'on ne la doit pas compter, il me semble, dans la durée du séjour de Michel de Montaigne au Collège de Guyenne. C'est un point sur lequel je reviendrai ailleurs plus amplement. Pendant ces sept années, Michel gravit successivement les

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