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VUE DU CHATEAU DE MONTAIGNE (FAÇADE DE LA COUR).

D'après une aquarelle exécutée en 1813 par le baron de Vèze.

généalogiste de Montaigne croit qu'elle était de Toulouse, et les raisons qu'il invoque sont plausibles; elles ne sont pas suffisantes pour considérer comme démontré un fait qui ne touche pas intimement à l'histoire de Michel. Il importe davantage à la psychologie du fils de savoir que la mère avait du sang étranger dans les veines, et du sang d'étranger d'origine juive. Peut-être est-il permis de voir là l'explication de la tolérance de Montaigne, le secret de sa nature si souple, s'accommodant si volontiers aux circonstances. L'âme prend aisément les plis qu'on lui imprime de bonne heure, et, comme Montaigne le dit lui-même, « notre principal gouvernement est aux mains des nourrices ». Les précautions dont Michel de Montaigne entourera plus tard son langage pour que les doutes de sa raison n'effarouchent personne ressemblent fort aux précautions dont ses ancêtres juifs s'entouraient eux-mêmes pour ne point exciter l'intolérance. Le petit-fils avait appris d'eux, l'art de cacher ses principes sous des termes prudents, sans rien retrancher de sa pensée. C'est d'eux encore qu'il tenait sa faculté d'assimilation, un certain cosmopolitisme de goût qui le poussait aux voyages et le faisait se trouver bien à l'étranger.

Pour le moment, l'union d'Antoinette de Louppes et de Pierre Eyquem, qui eut lieu le 15 janvier 1528, accroissait d'une manière notable les biens déjà considérables du seigneur de Montaigne. Parvenu maintenant à l'opulence par le négoce de ses prédécesseurs et par des alliances productives, c'est en effet en seigneur de Montaigne que Pierre Eyquem désirait vivre à l'avenir. Il avait rapporté de ses campagnes en Italie la considération particulière qui s'attache au courage guerrier: sa noblesse était consacrée par ses exploits; quoi qu'en dise Scaliger, elle ne sentait plus le hareng. Aussitôt après son retour, ses concitoyens bordelais l'élisaient aux charges municipales, et, pendant vingt-cinq ans, Pierre Eyquem franchit successivement tous les degrés de ces honneurs. Premier jurat et prévôt de Bordeaux en juillet 1530, premier jurat également en 1546, il avait été, dans l'intervalle, en 1536, élevé aux onctions de sous-maire. C'était la seconde dignité municipale. Désigné par le maire lui-même, dont les fonctions étaient alors à vie, pour le remplacer dans ses absences et le seconder dans ses attributions, le sous-maire était l'auxiliaire constant du pouvoir municipal; entre autres prérogatives, c'est lui qui, d'ordinaire, gardait le sceau de la ville. Comme les absences du maire étaient fréquentes, son suppléant devait prendre le plus souvent seul les décisions qui étaient laissées à son autorité. Pierre Eyquem s'en acquitta bien, et cette administration intérimaire lui servit à se préparer à un pouvoir plus effectif.

Le 1er août 1554, Pierre Eyquem, seigneur de Montaigne, était élu maire de Bordeaux. Il conserva ces fonctions pendant deux années consécutives jusqu'en 1556, car la mairie n'était plus à vie, comme elle l'avait été longtemps. Parmi les nombreux privilèges qu'Henri II avait enlevés aux Bordelais après la sanglante révolte de 1548, il les avait privés du droit de choisir un maire, et si, un peu plus tard, revenant sur sa décision, le roi consentit quelques concessions à ce sujet, le premier magistrat bordelais n'avait pu recouvrer toutes ses prérogatives. Il y avait donc quelque générosité à accepter le périlleux honneur d'être le premier magistrat d'une cité suspecte. -Pierre Eyquem ne s'y refusa pas, car il avait l'âme <charitable et populaire». Son fils nous dit qu'il prit ses devoirs trop à cœur, négligeant ses propres affaires et le soin de sa santé pour les intérêts de la ville qui l'avait élu. Il fallait négocier encore, essayer d'obtenir les privilèges ravis aux Bordelais, aller à la cour, solliciter et s'employer « à de longs et pénibles voyages ». Le seigneur de Montaigne n'y épargna jamais ses forces. « L'âme cruellement agitée par cette tracasserie publique, » nous le voyons venir à Paris demander l'oubli complet des fautes de ses concitoyens, et, habile jusque dans le malheur, il ne néglige rien de ce qui peut rendre sa cause meil leure. Plus confiant en la bonté des vins du cru qu'en sa propre éloquence, il se faisait suivre de vingt tonneaux de vin de Bordeaux « pour faire des présents > aux seigneurs favorables aux intérêts de la ville. Cet argument dut amener bien des sympathies à la défense des Bordelais, car le corps de ville ne choisit sans doute pas, pour la circonstance, les pires de ses produits. Je craindrais que la cause ait été trop vite entendue et gagnée, sans que Pierre Eyquem ait eu besoin de mettre en avant ses meilleures raisons. Nous retrouvons aussi le maire exerçant consciencieusement sa charge dans Bordeaux. Tantôt, en robe « de satin rouge-blanc », accompagné des jurats, en robes « de damas rouge-blanc », il accueille par << une très belle harangue » le nouvel archevêque François de Mauny à sa première entrée dans Bordeaux1. Tantôt l'activité de Pierre Eyquem s'emploie à des actes d'administration. C'est surtout vers le développement de l'instruction à Bordeaux, vers l'amélioration du Collège de Guyenne, que cette activité tendit. Bien des liens rattachaient Pierre Eyquem à cet établissement célèbre, auquel il confia l'éducation de son fils. Déjà, comme sous-maire, Pierre Eyquem avait remis à André de Gouvéa, principal du Collège de Guyenne et Portugais d'origine, des « lettres de naturalité » pour le mieux retenir à Bordeaux 2. Pendant sa propre mairie, l'édilité bordelaise élut Élie Vinet comme principal de ce même établissement, et l'on sait combien ce choix si éclairé contribua aux progrès du Collège de Guyenne et au développement des lettres à Bordeaux.

1. Jean Darnal, Supplément des Chroniques de la noble ville et cité de Bourdeaux, 1620, p. 40.

On le voit, l'administration de Pierre Eyquem n'était pas celle d'un ignorant, ainsi qu'on s'est parfois plu à le montrer; il avait le souci des plus hauts intérêts de ses compatriotes. Cette préoccupation lui faisait même oublier « le doux air de sa maison » pour séjourner en ville. L'amour de sa terre de Montaigne lui tenait cependant bien au cœur: c'était une de ses passions les plus vives. Il se plaisait à embellir « ce lieu où il était né ». C'est lui qui

1. Archives historiques de la Gironde, t. VI, p. 222. 2. E. Gaullieur, Histoire du Collège de Guyenne, p. 135 et 549.

MONTAIGNE.

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