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sable au corps par où ils se puissent rendre aimables. > Et il ajoute plus tard : « Je ne les ai pas souffert volontiers nourris près de moi. » Au contraire, à mesure que l'intelligence grandit en eux, l'affection paternelle dont on les entoure doit grandir aussi. Et quand les enfants sont parvenus à l'âge d'être initiés aux choses de la vie, Montaigne veut que leurs parents n'aient plus pour eux de sévérité et de froideur, mais qu'ils s'efforcent de nouer avec eux une liaison d'amitié respectueuse et bienveillante. Renversons alors toutes les barrières qui éloignent les pères des enfants; rapprochons plutôt par tous les moyens ces êtres issus du même sang. Au xvIe siècle, on usait plus volontiers de rigueur à l'égard des enfants, quel que fût leur âge; l'abandon manquait dans les rapports familiers, et l'on employait communément des appellations trop froides et trop cérémonieuses. Montaigne le comprit. Dans sa famille, il veut qu'on l'appelle père, et il ajoute : « Quand je pourrais me faire craindre, j'aimerais mieux me faire aimer. >>

C'est bien la règle de conduite que Montaigne choisit, en effet. Désireux d'être aimé avant tout, il y réussit et fut chéri des siens, parce que lui-même les chérissait par-dessus tout. La passion de Montaigne pour la méditation et pour la solitude ne diminuait en rien l'affection qu'il portait à ceux qui l'entouraient. Il se demande, il est vrai, s'il n'eût pas préféré engendrer quelque bel ouvrage du commerce des Muses que de procréer un enfant du commerce de sa femme. Rien ne permet de supposer qu'en réalité il préférât ses écrits à ses enfants, pas plus qu'on ne saurait dire que sa retraite volontaire lui ait jamais fait oublier ses devoirs de citoyen. S'il est certain que Montaigne chercha toujours à s'abstraire des passions de son temps, s'il évita avec un soin jaloux de son repos de se mêler aux querelles des partis, il est non moins assuré qu'il ne refusait pas d'entrer dans la lutte quand sa conscience parut l'exiger. L'époque que le philosophe passait ainsi au milieu de ses livres était singulièrement troublée. Les flots des discordes civiles venaient, il est vrai, se briser aux pieds de sa tour, sans ébranler sa tranquillité d'esprit. Il ne jugeait que mieux, du haut de sa sagesse isolée, les menées des partis. Dominant les passions du jour, il suivait les événements d'un œil plus lucide et savait distinguer, au milieu des agitations stériles, le vrai rôle du patriote. Un exemple nous permet de dire que Montaigne ne manquait pas alors de s'engager lui-même dans cette voie, et qu'il n'hésitait pas à interrompre, pour un moment, le calme de son existence, quand cette vie paisible aurait pu devenir coupable.

Nul n'ignore combien le crime de la Saint-Barthélemy fut inutile. Loin d'apaiser les révoltes qu'il était destiné à éteindre, il raviva l'ardeur des Huguenots et fournit un prétexte à leur haine. Aussitôt leur stupeur passée, ceux-ci se soulevèrent en masse pour venger leurs chefs si lâchement assassinés. C'est La Rochelle qui donna le signal de la révolte, et l'autorité royale ne fut pas assez forte pour châtier cette première audace. Alors, la rébellion gagna de proche en proche, si bien qu'une bonne partie du

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royaume lui appartenait peu après. En Poitou, le propre lieutenant du roi, La Haye, donne l'exemple de l'insoumission; en Dauphiné, en Auvergne, en Quercy, les protestants s'emparent de positions importantes; en Normandie enfin, Montgomery débarque avec des secours venus d'Angleterre et ranime le courage de ses coreligionnaires. Puis, au sein même de la cour, un nouveau parti se forme, le parti des Politiques, qui conspire aussitôt pour essayer de faire arriver au trône de France le duc d'Alençon, à la place de son aîné le duc d'Anjou, qui avait accepté le trône de Pologne, et la maladie persistante de Charles IX permet de supposer que la vacance ne va pas tarder à s'ouvrir.

Telle était la situation au commencement de 1574, c'est-à-dire moins de deux ans après les cruautés de la Saint-Barthélemy. Elle ne pouvait être plus critique, car la révolte faisait chaque jour des progrès et la santé de Charles IX, au contraire, donnait de moins en moins d'espérance. Ce fut la reine-mère qui fit tête à l'orage et parvint à le surmonter. Elle para à tous les dangers avec une énergie virile. Écartant tout d'abord le péril d'une conspiration, elle fait arrêter et exécuter La Môle et Coconas, et garde plus étroitement le roi de Navarre et le duc d'Alençon prisonniers à Vincennes. Puis, malgré le vide du trésor, elle lève trois armées, dont la plus importante est envoyée en Normandie, et les deux autres vont en Languedoc et en Poitou.

L'armée du Poitou, destinée à combattre La Noue, était placée sous les ordres du duc de Montpensier, qui groupa autour de lui les gentilshommes de la région restés fidèles au roi. Dès le commencement de mai, Montpensier entrait en campagne, et, après avoir séjourné quelques jours à Parthenay, il se fixait

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à Sainte-Hermine, pensant bien que l'ennemi ne refuserait pas la bataille. Mais celui-ci, au contraire, ne cessait de temporiser. Persuadé que les retards ne pouvaient qu'affaiblir des adversaires sans cohésion, La Noue, en général habile, laissait se prolonger un état de choses qui devait servir à sa cause. La mort

du roi était imminente, et cette disparition, en augmentant le désarroi des Catholiques, profiterait aux Huguenots. Ceux-ci crurent même au décès de Charles IX avant qu'il ne fût survenu. Ils supposaient qu'on leur cachait cette fin pour permettre à Henri III de rentrer de Pologne; aussi s'agitaient-ils beaucoup par-dessous mains plutôt que de combattre, pour gagner le plus de partisans à leur cause et susciter le plus d'ennemis au futur roi de France, qu'ils méprisaient à l'égal de son frère. C'est au milieu de ces atermoiements et tandis que les religionnaires manœuvraient de la sorte que Montaigne fut chargé d'une mission de confiance à Bordeaux.

Le duc de Montpensier «dépêcha >> Montaigne du camp de Sainte-Hermine auprès du Parlement de Bordeaux pour porter des instructions écrites et fournir verbalement un exposé plus explicite de la situation. Investi de cette délégation, Montaigne partit aussitôt et vint communiquer avec la cour. Son ancien titre de conseiller lui donnait droit de prendre séance au Parlement et d'y parler au milieu de ses collègues. C'est ce qu'il fit le 11 mai 1574. Lui-même en a noté le souvenir dans le volume d'Éphémérides sur lequel il mentionnait les principaux événements de son existence. Les registres du Parlement de Bordeaux confirment eux aussi ce témoignage. Prévenus de l'arrivée de Montaigne, les membres de la Cour délibérèrent sur la façon dont il

1. Dr Payen, Documents inédits sur Montaigne, no 3, 1855, p. 14 et 20. - Bigorie de Laschamps, Michel de Montaigne, 1860 (2o édition), in-12, p. 15.

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