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volontiers aux ouvrages qui lui fournissaient matière à réflexion par les traits ou par les observations qu'ils rapportaient. Après Plutarque et Xénophon, qui symbolisaient à ses yeux la fine fleur du génie de la Grèce, il se délectait aux récits de Diogène de Laerce. Combien il regrettait que celui-ci n'eût pas eu des continuateurs et des imitateurs! Il en souhaitait une douzaine», et peut-être, au prix de ces compilateurs, eût-il fait bon marché des écrivains qui se souciaient plus de charmer que d'instruire. Ces écrivains-là, il les lisait sans les fréquenter; il les pratiquait surtout par fragments, dans les anthologies qui donnent les extraits les plus ingénieux de leurs œuvres, qui cueillent et groupent les plus beaux fruits de leur inspiration. C'est là que très souvent Montaigne alla faire son choix; il y prit bien des passages qu'il savait ensuite utiliser dans son propre ouvrage.

Les modernes, eux aussi, trouvaient leur place à côté des anciens. Quoique toutes les admirations de Montaigne fussent pour l'antiquité, il ne méprisait pas ses contemporains et savait leur rendre justice. La poésie, par exemple, y tenait un bon rang. On y eût trouvé la plupart des poètes français, italiens ou latins modernes. Montaigne, qui s'était exercé à la poésie latine, aimait à goûter les ouvrages de ceux qui excellèrent dans cet art. Dorat, Théodore de Bèze - l'exemplaire de Montaigne est sauvé, - Buchanan, L'Hospital, Mondoré, Turnèbe avaient ses préférences en ce genre. La poésie française lui semblait montée alors « au plus haut degré où elle sera jamais ». II appréciait Marot et Saint-Gelays, mais son enthou. siasme allait droit à Ronsard et à Du Bellay, qu'il ne trouvait « guère éloignés de la perfection ancienne ». L'exemplaire des Œuvres en rime de J.-A. de Baïf que Montaigne possédait nous est parvenu: rien n'indique que cette haute estime s'étendît jusqu'à Baïf.

Dans la littérature italienne, ce que Montaigne goûtait le plus c'étaient les écrivains épistolaires, Sans doute, l'imagination des poètes d'au delà des Alpes savait l'échauffer d'une belle ardeur; il admira Dante; la fantaisie de l'Arioste le ravit << autrefois >> ; plus tard, il visita le Tasse enfermé à Ferrare. On a sauvé son Pétrarque, un petit volume facile à mettre dans sa poche, que le propriétaire prit peut-être quelquefois avec lui. On n'a pas retrouvé ainsi tous les livres de lettres italiennes dont Montaigne s'était entouré. « Ce sont grands imprimeurs de lettres que les Italiens, › disait-il, et il recherchait curieusement tous les échantillons de cette littérature, car lui aussi se piquait de bien écrire les lettres, et il eût volontiers exposé ses idées sous cette forme s'il eût trouvé un correspondant à qui les adresser. Comme tout son siècle, Montaigne était séduit par l'âme italienne, si complexe en même temps et si attirante. En Italie, la tradition classique était conservée à travers les temps; la race demeurait en communion intime et constante avec l'antiquité. Quel attrait pour un esprit qui admirait par-dessus tout la civilisation latine! Retrouver ainsi le vieux monde dans les générations nouvelles eût suffi pour attirer Montaigne quand bien même l'ordre des choses italiennes

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n'eût pas eu d'autres séductions. Mais il y avait encore, au delà des Alpes, la liberté de l'esprit individuel et un état social qui laissait s'épanouir la vie publique et le génie national. Ce sont des conditions qui avaient frappé Montaigne et dont il recherchait les effets dans les œuvres des littérateurs.

Nulle part la conscience intime d'un peuple ne se montre mieux que dans les écrits qui analysent des états d'âme particuliers; il suffit d'observer quelques cas pour arriver aisément à la connaissance de l'ensemble. C'est pour cela que Montaigne aimait tant les correspondances italiennes, malgré leurs fadeurs et leurs concetti: dans l'âme de chaque écrivain il retrouvait un lambeau de l'âme nationale, en même temps que l'individualité de la pensée s'y affirmait tout entière. Il tenait à posséder tous ces volumes autour de lui, depuis Annibal Caro qui lui semble le meilleur de ces épistoliers italiens, jusqu'à la poétesse Véronique Franca qui lui fit présent elle-même à Venise de ses productions. A côté, sur les rayons de sa bibliothèque, Montaigne laissait une place aussi grande à d'autres livres qui complétaient ceuxci et dont l'Italie paraissait avoir le monopole: ces manuels du parfait gentilhomme, tels que le concevait la mode d'alors, qui réglaient les belles manières et donnaient le ton à la conversation. Le premier de cette série était, bien entendu, l'ouvrage célèbre de Balthasar Castiglione, Il Cortegiano, le livre d'or de l'homme de cour, dont Montaigne avait peut-être reçu un exemplaire en don de La Boétie. Dans le petit nombre des livres de Montaigne qui sont arrivés jusqu'à nous se trouvent plusieurs des écrits composés sur la matière de celui-ci : les Cento givo

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chi liberali d'Innocentio Ringhieri, les Lezzioni de Benedetto Varchi; et des dissertations sur la nature de l'amour, le Carcer d'amor de Lelio Manfredi ou les trois dialogues néo-platoniciens de Léon Hébreu. Montaigne, il est vrai, ne se plaisait pas outre mesure à cette philosophie quintessenciée si fort à la mode en France par imitation de l'Italie; pour un peu, il eût suivi son page qui faisait l'amour sans se soucier des théories de Léon Hébreu. Mais il aimait la politesse des manières. Il trouvait au delà des monts l'urbanité plus répandue qu'en deçà, et la galanterie dans son raffinement lui paraissait préférable à l'impétuosité un peu brutale des Français d'alors.

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Les belles-lettres et les beaux-arts avaient, en effet, poli les façons italiennes; si la conscience demeurait cynique et corrompue, les apparences du moins étaient charmantes. Toute la vie de l'Italie était ainsi faite. Politique ou morale, tout y avait deux aspects, l'un extérieur et brillant, l'autre intime et louche. Cette dualité se reflétait dans les ouvrages de ses écrivains: d'une part, ceux qui enregistraient la science des vertus d'apparat; d'autre part, ceux qui dévoilaient le secret d'une diplomatie cauteleuse; les historiens et les théoriciens de l'élégance mondaine. Côte à côte, Montaigne réunissait ces deux éléments divers sur ses rayons. L'histoire était toujours, pour le philosophe, la passion favorite, le sujet le plus ordinaire de ses méditations, et nul pays mieux que l'Italie ne lui fournissait ample matière à ses lectures. L'histoire s'y était renouvelée en même temps que la poésie et le roman. Plus d'un siècle avant Philippe de Commines, l'Italie avait son

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