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goût à écrire et comprit qu'il pouvait, sans trop de témérité, s'essayer à des travaux plus personnels. Désormais, indépendant par sa situation de fortune, il se préoccupe tout ensemble de faire bonne figure en tant que chef d'une maison honorable et opulente et de suivre le plus possible ses tendances particulières. Le séjour au Parlement de Bordeaux avait été plein de charme pour Montaigne tant que La Boétie s'y était assis à ses côtés. Si, depuis lors, Montaigne n'avait pas cessé de remplir son office, c'était avec contrainte, et parce qu'il plaisait à son père de le voir occuper cette situation élevée. Devenu maître du nom et de la fortune, Montaigne crut devoir agir autrement et se démettre d'une charge pour laquelle il avait moins que jamais d'inclination. Aussitôt qu'il put le faire avec décence, il abandonna son poste. Deux ans après la mort de son père, en juillet 1570, Montaigne quitta définitivement le Parlement de Bordeaux, dont il avait fait partie pendant quinze ans environ, et se désista en faveur de Florimond de Raymond. Le roi accepta cette démission. Le 24 juillet 1570, Charles IX octroyait par lettres patentes à Florimond de Raymond «l'estat et office de conseiller en la Cour de Parlement de Bordeaux que naguère soulait tenir et exercer Me Michel de Montaigne, vacant à présent par la pure et simple résignation qu'il en a ce jourd'hui faite > 1. Le roi

1. Archives de la Gironde, Parlement, Registres d'enregistrement des édits royaux, В. 38. – Cf. Tamizey de Larroque, Essai sur la vie et les ouvrages de Florimond de. Raymond, 1867, in-80, p. 132, et Archives historiques de la Gironde, t. XXV, p. 140.

LA

MESNAGERIE

DE XENOPHON.

Les Regles de mariage,

DE PLUTARQVE.

Lettre de confolation,

de Plutarque à sa femme.

Le tour traduict de Gréc en François par feu
M. ESTIENNE DE LA BOETIR
Conseiller du Roy en sa court de Parlement
Bordeaux. Ensemble quelques Vers Latins
& Francois, de son inuention.

Item, on Discours jur la mort dudit Seigneur
De la Boëtie, par M. de Montaigne.

A PARI S.

De l'Imprimerie de Federic Morel, rue S. Ian de Beauuais, au Franc Meurier.

M. D. LXXI.

AVEC PRIVILEGE.

(Fac-simile du itre des opuscules de La Boetie.)

donnait également provision au nouveau conseiller, sous la réserve, qui était de droit en pareil cas, que le résignant vivrait quarante jours après la date de ces lettres. Cette condition s'étant accomplie, la cession fut définitive, et Florimond de Raymond prêta serment le 2 octobre 1570. Il entra aussitôt après en fonctions.

Aucun autre lien que le souvenir du passé ne rattachait plus Montaigne à la Cour. En entrant dans cette assemblée, il avait trouvé des collègues savants et probes; il y avait noué, en y séjournant, des amitiés honorables. En partant, Montaigne emportait l'estime et la sympathie de tous. Son office allait être occupé par un magistrat éclairé, qui ne ferait sans doute pas oublier son prédécesseur, mais qui devait gagner, dans l'accomplissement de ses fonctions, un juste renom d'autorité. Certes, on ne pouvait guère prévoir, à cette date, la notoriété qu'acquerrait le fougueux controversiste Florimond de Raymond, pas plus qu'on n'aurait su prédire la gloire du futur auteur des Essais. On pouvait seulement distinguer la différence de caractère des deux conseillers.

Nul ne ressemblait moins à Montaigne que Florimond de Raymond. Élevé au Collège de Guyenne comme son prédécesseur, Florimond de Raymond n'avait guère que ce point de commun avec Montaigne. Homme d'action avant tout, écrivain d'humeur chaude et batailleuse, sa plume était acérée comme une lame et son style gardait le reflet ardent des convictions de Monluc. Comme Monluc, Florimond de Raymond ne connut jamais le charme de la pensée

Vers François de feu

ESTIENNE DELABOETIE

Conseiller du Roy en sa
Cour de Parlement
à Bordeaux.

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solitaire; sa nature aimait la décision. En se trouvant en présence l'un de l'autre, Montaigne et lui se comprirent pourtant. Montaigne vit que la foi de Raymond était sincère, et celui-ci goûta l'aimable franchise du philosophe. Entre eux, que tant de divergences séparaient, s'établirent des relations cordiales, parce qu'elles étaient fondées sur le respect de soi-même et d'autrui.

Ainsi délivré de la contrainte de sa charge, Montaigne usa de sa liberté reconquise pour payer aussitôt à la mémoire de La Boétie le tribut d'admiration qu'il croyait lui devoir. Puisque le temps avait manqué à La Boétie pour donner à ses contemporains une juste mesure de sa valeur, Montaigne pensait, avec raison, qu'il lui appartenait, à lui qui l'avait si complètement connu et aimé, de mettre en pleine lumière les mérites de l'ami défunt. Il rassembla ce qui était sorti de la plume de La Boétie, prenant tout, « vert et sec, » comme il le dit, sans choisir et sans trier. Depuis sept ans que La Boétie était mort, en léguant à celui qui lui survivait ses papiers et ses livres, Montaigne avait pu préparer l'hommage qu'il se proposait de rendre à une mémoire si chère. Et maintenant que la vie lui faisait des loisirs, il se hâtait d'en profiter afin de livrer au public ces reliques.

Montaigne vint à Paris surveiller l'impression des œuvres de son ami. Instruit par le mécompte survenu à sa traduction de Sebonde, il dut y rester plusieurs mois, sans doute du mois d'août au mois de décembre 1570, car l'ouvrage ne fut achevé qu'à la fin de

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