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Nos secrets à tes yeux ne sont jamais cachés :
Tu vas comptant les pas du soir et de l'aurore;
Les heures, les momens, les minutes encore,
Tour-à-tour devant toi rapportent nos péchés.
Les roses de nos ans, de l'orage battues,
Nous semant dans le cœur leurs épines pointues,
Y laissent l'aiguillon d'un triste souvenir:
Ceux qui sont enchantés de ces erreurs mondaines,
Changent leurs yeux honteux en ameres fontaines,
Et, plaignant le passé, redoutent l'avenir.

Seigneur! remplis nos yeux de ta vive lumiere,
Et nos ames de foi, nos bouches de priere;
Veuille dedans nos cœurs ton service ordonner :
Ne nous fais point ouïr cette voix criminelle
Que tu prens quand tu sors pour juger l'infidelle,
Mais celle que tu prens quand tu veux pardonner.
Convertis cette tourbe errante et fugitive,
Qui, s'égarant de toi, de soi-même se prive;
Change en paix notre guerre, en plaisirs nos douleurs.
Si l'homme naît en pleurs, augurant sa tristesse,
Seigneur! fais-le mourir tout comblé de liesse,
Et détruis les péchés, et non point les pécheurs.

STANCES.

Je sais bien qu'un grand roi peut avoir la puissance
De retenir un peuple en son obéissance,

De s'en faire servir, de lui donner la loi;
D'être seul qui commande à son puissant empire;
Mais nul, tant soit-il grand, jamais ne pourra dire :
Je possede une femme, et la tiens toute à moi.
Tenez votre maîtresse en secret embrassée;
Elle retient un autre au fond de sa pensée,
Qu'elle veut, comme vous, caresser à son tour:
Et lorsque vous avez sa trahison connue,
Aussitôt dans son cœur votre place est perdue:
En haine tout soudain se change son amour.

Il faut, pour se changer en ce qu'elle desire,
Être aveugle et muet, avoir le cœur de cire,
Ou de fer, pour souffrir un martel furieux :
Il faut, le plus souvent malgré la raison, croire
Que la glace est de flâme, et l'ébene d'ivoire;
Et pour songe avouer ce qu'on voit de ses yeux.
Donc, sortez de mon cœur, race du vieil Prothée,
Démons qui décevez, dessous forme empruntée,
Les esprits des humains pour les faire abismer:
Heureux qui n'a jamais eu votre connoissance!
Heureux qui ne met point, avec peu d'assurance,
Son cœur à une femme, et son bien sur la mer!

JEAN BERTAUT.

JEAN BERTAUT, né à Caen en 1552, se livra de bonne heure à l'étude de la poésie françoise. Ses premiers essais lui méritèrent le suffrage de Ronsard. Il vint à la cour, où il fut très bien accueilli, et obtint, en 1577, la charge de secrétaire du cabinet du roi, qu'il conserva jusqu'à la mort de Henri III, en 1589. Témoin oculaire de l'assassinat de ce prince, Bertaut composa une très longue pièce de vers sur cet événement. Il fut peu de temps après premier aumônier de Marie de Médicis; et Henri iv, à la conversion duquel il avoit contribué, lui donna, en 1594, l'abbaye d'Aulnay au diocèse de Bayeux, et, en 1606, l'évêché de Séez en Normandie. Jean Bertaut mourut dans son évêché, le 6 ou le 8 juin 1611, âgé de cinquante-neuf ans.

Le premier recueil des OEuvres de Jean Bertaut fut publié en 1602 (Paris, in-8°), par Pierre Bertaut, son frère. Ce recueil se compose d'un assez grand nombre de stances, de deux complaintes, de quelques chansons, élégies, sonnets, mascarades, etc. Toutes ces pièces ont l'amour pour objet. Il n'étoit pas rare, à cette époque, de voir des ecclésiastiques s'exercer sur un sujet si opposé à leur profession; mais peu d'entre eux l'ont fait avec autant de retenue et de décence que Jean Bertaut. Aussi mademoiselle de Scudéry disoit-elle que ce poète donnoit « une grande et belle « idée des dames qu'il avoit aimées.

Les autres OEuvres poétiques de Bertaut parurent en 1605, en 1620 et 1623. L'édition de 1605 contient une traduction en vers héroïques du second Livre de l'Enéide de Virgile, quelques cantiques, dont un sur la Conversion de Henri IV, la paraphrase de plusieurs pseaumes, etc., une Invitation à Henri IV de venir à Paris, diverses pièces relatives aux événements de cette époque, un long poëme consacré à l'éloge historique de Saint-Louis, etc., un discours funèbre sur la mort de Ronsard, des épitaphes, des sonnets, etc.

Dans les éditions de 1620 et 1623, on a ajouté un Recueil de quelques vers amoureux, un Discours funèbre sur la mort de Lysis, et un poëme intitulé Panarette, ou bien Fantasie sur les événemens du Baptesme de M. le Dauphin, depuis Louis XIII.

Jean Bertaut fut célébré par la plupart des poètes de son temps des poésies grecques et latines furent composées en son honneur.

Voici le jugement qu'en portoit mademoiselle de Scudéry: « Desportes a une douceur charmante, Duper<< ron une élévation plus naturelle, et Bertaut a tout <«< ce que les autres peuvent avoir d'excellent; mais il <«<l'a avec plus d'esprit, plus de force et plus de har<< diesse sans comparaison.... Il s'est fait un chemin particulier entre Ronsard et Desportes. Il a plus de « clarté que le premier, plus de force que le second, « et plus d'esprit et de politesse que les deux autres « ensemble, etc. >>

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STANCES.

Sr faut-il rompre enfin ce cordage amoureux,
Bien qu'il puisse arrêter l'ame la plus sauvage,
Et penser désormais qu'il est bien malheureux
Qui peut vivre en franchise et languit en servage.
Il faut, il faut briser, en fuyant ces beaux yeux,
Le joug qui tient mon ame à leurs loix asservie :
Rien que la liberté ne nous rend demi-dieux;
Malheureux qui la perd sans perdre aussi la vie!
Ainsi dis-je parfois, menaçant mes prisons,
Lorsqu'un sage conseil mon ame persuade;
Mais, las! celui qui croit que ces foibles raisons
Peuvent guérir d'amour, n'en fut jamais malade.
Non, non, ne tuons point un si plaisant souci;
Rien n'est doux sans amour en cette vie humaine :
Ceux qui cessent d'aimer, cessent de vivre aussi,
Ou vivent sans plaisir, comme ils vivent sans peine.
Tous les soucis humains sont pure vanité;
D'ignorance et d'erreur toute la terre abonde;
Et constamment aimer une rare beauté,

C'est la plus douce erreur des vanités du monde.

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