la vie serait beaucoup trop courte pour découvrir par nous-mêmes tout ce que nos devanciers ont trouvé par l'expérience ou la réflexion. Le consentement général n'est donc pas en soi une preuve à dédaigner, ce n'est pas du moins l'efficacité qui lui manque, et cette preuve a été admise et développée par d'habiles gens. L'Église l'a employée dans ses cours de théologie. Je ne crois pas qu'en fait de métaphysique religieuse, la grande majorité des gens qui ont reçu de l'éducation aille beaucoup au delà de ce qui vient d'être dit. A cela se réduit assez communément toute la théologie naturelle. Je devrais ajouter quelques développements qu'on y joint d'ordinaire sur les attributs de la Divinité et les conséquences morales qui en résultent pour les hommes, si, du moment que la théodicée touche au sentiment et au devoir, elle ne devenait presque toujours, au lieu d'une simple philosophie, une religion proprement dite. C'est en général au nom du christianisme, c'est dans le langage qu'il enseigne et sous les formes qu'il prescrit, que les rapports de l'homme à Dieu sont annoncés à la jeunesse. C'est grâce à cette transformation toute-puissante que des vérités abstraites, qui seraient arides ou indifférentes pour beaucoup d'esprits, s'emparent de l'âme, et peuvent devenir pour une nature heureusement douée l'aliment le plus pur et le plus sain de l'intelligence, la plus auguste règle de la volonté, la plus pénétrante consolation du cœur. Tout le monde, comme nous disons en Europe et en Amérique, est élevé dans le christianisme, tout le monde est chrétien, au moins dans une certaine mesure, et c'est grâce à ce saint enseignement des nations et des familles que des deux plus nobles parties du monde s'élève ce cri universel, ce cri du respect et de l'amour : Notre Père qui êtes aux cieux! La foi n'est pas cependant partout la même, elle a ses diversités; elle manque à un grand nombre, et là où l'on n'aperçoit plus l'homme de la grâce, il faut parler encore à l'homme de la nature. D'ailleurs, de même que sans s'arrêter aux merveilles sensibles de l'univers, en écartant pour ainsi dire les plus beaux phénomènes, il est permis et il est utile de regarder le système du monde comme un problème pure ment mathématique, et de ne voir dans le ciel étoilé que la mécanique céleste, c'est un droit et une fonction de la raison que de s'abstraire elle-même de la religion, et de chercher à déterminer sous leur forme la plus rigoureuse et la plus scientifique les pures idées qui sont comme l'essence de nos croyances morales et religieuses. Le ciel de l'âme aussi a sa géométrie. Les théologiens éclairés, les Bossuet et les Fénelon, sont loin de répudier cette théodicée philosophique, et c'est le métier des métaphysiciens que d'en reprendre incessamment l'étude. Sans les suivre dans les recherches épineuses dont elle est semée, nous devons continuer à exposer le plus clairement que nous pourrons le progrès ordinaire des idées religieuses comme idées pures, même en nous réduisant à celle-ci, la preuve de l'existence de Dieu. Cette preuve est double jusqu'ici, le consentement général et l'ordre du monde. Le ciel nous préserve de chercher à ruiner l'une ou l'autre. A Kant seul cette témérité est permise; mais il faut bien mesurer la portée, fixer la va leur de la double preuve, fût-ce afin d'expliquer pourquoi l'esprit humain ne s'en est pas contenté. Quelque autorité qu'on attribue au consentement général, il n'est pas une preuve péremptoire pour un philosophe ni pour un chrétien, une preuve du moins qui puisse être admise sans restriction par l'un ni par l'autre. Pour le philosophe, la constance et la perpétuité d'un témoignage ne démontrent pas autant la réalité de la chose témoignée que la permanence dans la nature humaine d'une raison de croire ce qu'elle affirme. Ce peut être vérité, ce peut être erreur. Il y a, si l'on veut, présomption de vérité; mais il n'y a preuve que d'un fait permanent de notre nature qui engendre et motive le consentement à une certaine idée. C'est ce fait qu'il faut démêler, étudier, afin de savoir si sa réalité prouve la vérité de ce qu'il atteste. Cela ramène à chercher dans l'esprit humain et dans la raison même l'origine et la garantie de l'idée religieuse. C'est ce qu'ont fait les philosophes lorsqu'ils ont prouvé Dieu par l'idée de Dieu. Pour le chrétien, l'accord de l'humanité le persuade de l'existence et de l'unité de Dieu bien moins que la foi dans une révélation spéciale et primitive. La certitude, sinon la vérité de cette double croyance est pour lui bien plutôt le privilége d'une race élue que le patrimoine commun de l'espèce. Elle a été confirmée, cette croyance, développée, complétée par les diverses théophanies dont l'Ancien Testament contient le récit, et surtout par la plus grande de toutes, sujet divin du Nouveau Testament. Le christianisme est essentiellement une tradition particulière. Toutes les traditions, hors la chrétienne, sont entachées d'erreur ou d'imposture; elles s'appellent de fausses religions: on ne voit donc pas comment le consentement aux fausses pourrait servir à établir un dogme de la vraie. Aussi, tandis qu'autrefois le consentement gé néral était cité en preuve par les théologiens, il est maintenant représenté comme un souvenir affaibli, comme une traduction altérée de la révélation primitive. Suivant cette doctrine, qui est nouvelle, mais qui a fait d'assez grands progrès dans l'Église,la tradition générale doit toute sa valeur à ce qu'elle a conservé de la tradition |