pères des peuples, les consolateurs des affli-. gés, les asiles des foibles, les soutiens de l'Eglise, les protecteurs de la vertu, les modèles de tous les fidèles. Souffrez donc, mes Frères, qu'entrant dans l'esprit de notre Evangile, je vous expose ici les périls et les avantages de votre état; et qu'avant que d'entrer dans le détail des devoirs de la vie chrétienne, dont je dois vous entretenir durant ces jours de salut, je vous marque, à l'entrée presque de cette carrière, les obstacles et les facilités que vous offre, pour les accomplir, l'élévation où la Providence vous a fait naître. Il y a de grandes tentations attachées à votre état, je l'avoue; mais aussi il s'y trouve de grandes ressources: on y,naît, ce semble, avec plus de passions que le reste des hommes; mais aussi on peut y pratiquer plus de vertus : les vices y ont plus de suite; mais aussi la piété y devient plus utile: en un mot, on y est bien plus coupable que le peuple quand on y oublie Dieu; mais aussi on y a bien plus de mérite quand on lui est fidèle. Mon dessein donc aujourd'hui est de vous représenter les grands biens ou les grands maux qui accompagnent toujours vos vertus ou vos vices; est de vous faire sentir ce que peut pour le bien ou pour le mal l'élévation où vous êtes nés; est enfin de vous rendre le désordre odieux en vous développant les suites inexplicables que vos passions traînent après elles, et la piété aimable par les utilités incompréhensibles qui suivent toujours vos bons exemples. Ce ne seroit pas assez de vous marquer les périls de votre état, il faut aussi vous en découvrir les avantages: la chaire chrétienne invective d'ordinaire contre les grandeurs et la gloire du siècle; mais il seroit inutile de vous parler sans cesse de vos maux, si l'on ne vous en présentoit en même temps les remèdes. C'est ces deux vérités que je me propose de réunir dans ce discours, en vous exposant quelles sont les suites infinies des vices des grands et des puissants, et quelles sont les utilités inestimables de leurs vertus. Ave, Maria. PREMIÈRE PARTIE. UN jugement très sévère est réservé à ceux qui sont élevés, dit l'Esprit de Dieu : on fera miséricorde aux pauvres et aux petits; mais le Seigneur déploiera toute la puissance de son bras pour châtier les grands et les puissants: Exiguo conceditur misericordia : potentes autem potenter tormenta patientur.' Ce n'est pas, mes Frères, que le Seigneur rejette les grands et les puissants, comme dit l'Ecriture, puisqu'il est puissant lui-même, ou que le rang et l'élévation soient auprès de lui des titres odieux qui éloignent ses graces, et fassent presque tout seuls notre crime. Il n'y a point en lui d'acception de personne; il est le Seigneur des cèdres du Liban, comme de l'hysope qui croît dans les plus profondes vallées; il fait lever son soleil sur les plus hautes montagnes comme sur les lieux les plus bas et les plus obscurs; il a formé les astres du ciel comme les vers qui rampent sur la terre; les grands sont même les images plus naturelles de sa grandeur et de sa gloire, les ministres de son autorité, les canaux de ses libéralités et de sa magnificence; et je ne viens pas ici, mes Frères, selon le langage ordinaire, prononcér des anathêmes contre les grandeurs humaines, et vous faire un crime de votre état, puisque votre état vient de Dieu, et qu'il ne s'agit pas tant d'en exagérer les périls que de vous montrer les moyens infinis de salut attachés à l'élévation où la Providence vous a fait naître. Mais je dis, mes Frères, que les péchés des grands et des puissants ont deux caractères d'énormité qui les rendent infiniment plus punissables devant Dieu que les péchés du com mun des fidèles; premièrement le scandale, secondement l'ingratitude. Le scandale. Il n'est point de crime, mes Frères, auquel l'Evangile laisse moins d'espérance de pardon qu'à celui d'être un sujet de chute à nos frères: Malheur à l'homme qui scandalise, dit Jésus-Christ; il lui seroit plus avantageux d'être précipité au fond de la mer, que de devenir une occasion de perte et de scandale au plus petit d'entre mes disciples '. Premièrement, parce que vous perdez une ame qui devoit jouir éternellement de Dieu. Secondement, parce que vous faites périr votre frère pour lequel Jésus-Christ étoit mort. Troisièmement, parce que vous devenez le ministre des desseins du démon pour la perte des ames. Quatrièmement, parce que vous êtes cet homme de péché, cet Antechrist dont parle l'Apôtre; car Jésus-Christ a sauvé l'homme, et vous le perdez; Jésus-Christ a formé de véritables adorateurs à son père, et vous les lui ôtez; Jésus-Christ nous a acquis par son sang, et vous lui ravissez sa conquête; Jésus-Christ est le médecin des ames, et vous en êtes le corrupteur; il est leur voie, et vous êtes leur piége; il est le pasteur qui vient chercher les brebis qui périssent, et vous êtes le loup dévorant qui tuez et Matth. 18. 6, 7. perdez les ouailles que son père lui avoit données. Cinquièmement enfin, parce que tous les autres péchés meurent, pour ainsi dire, avec le pécheur; mais les fruits de ses scandales › seront immortels, ils survivront à ses cendres, ils subsisteront après lui, et ses crimes ne descendront pas avec lui dans le tombeau de ses pères. Achan fut puni avec tant de rigueur pour avoir pris seulement une règle d'or parmi des dépouilles que le Seigneur s'étoit consacrées; mon Dieu ! quelle sera donc la punition de celui qui ravit à Jésus-Christ une ame qui étoit sa dépouille précieuse, rachetée, non avec de l'or et de l'argent, mais de tout le sang divin de l'agneau sans tache? Le veau d'or fut réduit en poussière pour avoir fait prévariquer Israël, grand Dieu! et tout l'éclat qui environne les grands et les puissants les mettroit-il à couvert de votre colère, dès qu'ils ne sont élevés que pour être à votre peuple une occasion de chute et d'idolâtrie ? Le serpent d'airain lui-même, ce monument sacré des miséricordes du Seigneur sur Juda, fut brisé pour avoir été une occasion de scandale aux tribus, mon Dieu ! et le pécheur déja si odieux par ses propres crimes, sera-t-il épargné, lorsqu'il devient un piége et une pierre d'achoppement à ses frères? |