plus que par le nombre de vos conquêtes; ne mesurez pas sur votre puissance la justice de vos entreprises; et n'oubliez jamais que, dans les guerres les plus justes, les victoires traînent toujours après elles autant de calamités pour un Etat que les plus sanglantes défaites. Mais si l'amour du plaisir l'emporte dans les souverains sur la gloire, hélas! tout sert à leurs passions, tout s'empresse pour en être les ministres, tout en facilite le succès, tout en réveille les desirs, tout prête des armes à la volupté; des sujets indignes la favorisent; les adulateurs lui donnent des titres d'honneur; des auteurs profanes la chantent et l'embellissent; les arts s'épuisent pour en diversifier les plaisirs; tous les talents destinés par l'auteur de la nature à servir à l'ordre et à la décoration de la société, ne servent plus qu'à celle du vice; tout devient les ministres, et par-là, les complices de leurs passions injustes. Sire, qu'on est à plaindre dans la grandeur! les passions qui s'usent par le temps, s'y perpétuent par les ressources; les dégoûts, toujours inséparables du désordre, y sont réveillés par la diversité des plaisirs; le tumulte seul, et l'agitation qui environne le trône, en bannit les réflexions, et ne laisse jamais un instant le souverain avec lui-même. Les Nathan eux-mêmes, les pro phètes du Seigneur se taisent et s'affoiblissent en l'approchant : tout lui met sans cesse sous l'oeil sa gloire; tout lui parle de sa puissance, et personne n'ose lui montrer même de loin ses foiblesses. A l'étendue de l'autorité ajoutez encore une étendue d'éclat ; ce n'est pas à leur nation seule que se borne l'impression et l'effet contagieux de leurs exemples. Les grands sont en spectacle à tout l'univers; leurs actions passent de bouche en bouche, de province en province, de nation en nation: rien n'est privé dans leur vie; tout appartient au public : l'étranger, dans les cours les plus éloignées, a les yeux sur eux comme le citoyen : ils vont se faire des imitateurs jusque dans les lieux où leur puissance leur forme des ennemis; le monde entier se sent de leurs vertus ou de leurs vices; ils sont, si je l'ose dire, citoyens de l'univers: au milieu de tous les peuples se passent des évènements qui prennent leur source dans leurs exemples; ils sont chargés devant Dieu de la justice ou des iniquités des nations, et leurs vices ou leurs vertus ont des bornes encore plus étendues que celles de leur empire. La France, surtout, qui, depuis long-temps fixe tous les regards de l'Europe, est encore plus en spectacle qu'aucune autre nation; les étran gers y viennent en foule étudier nos mœurs, et les porter ensuite dans les contrées les plus éloignées : nous y voyons même les enfants des souverains s'éloigner des plaisirs et de la magnificence de leur cour, venir ici comme des hommes privés substituer à la langue et aux manières de leur nation la politesse de la nôtre, et comme le trône a toujours leurs premiers regards, se former sur la sagesse et la modération, ou sur l'orgueil et les excès du prince qui le remplit. Sire, montrez-leur un souverain. qu'ils puissent imiter; que vos vertus et la sagesse de votre gouvernement les frappent encore plus que votre puissance; qu'ils soient encore plus surpris de la justice de votre règne, que de la magnificence de votre cour: ne leur montrez pas vos richesses, comme ce roi de Juda aux étrangers venus de Babylone; montrez-leur votre amour pour vos sujets, et leur amour pour vous, qui est le véritable trésor des souverains; soyez le modèle des bons rois; et en faisant l'admiration des étrangers, vous ferez le bonheur de vos peuples. Mais ce n'est pas seulement aux hommes de leur siècle, que les princes et les grands sont redevables; leurs exemples ont un caractère de perpétuité qui intéresse tous les siècles à venir. Les vices ou les vertus des hommes du com mun meurent d'ordinaire avec eux; leur mémoire périt avec leur personne : le jour de la manifestation tout seul révélera leurs actions aux yeux de l'univers; mais, en attendant, leurs œuvres sont ensevelies, et reposent sous l'obscurité du même tombeau que leurs cendres. Mais les princes et les grands, Sire, sont de tous les siècles; leur vie, liée avec les évènements publics, passe avec eux d'âge en âge; leurs passions, ou conservées dans des monuments publics, ou immortalisées dans nos histoires, ou chantées par une poésie lascive, iront encore préparer des piéges à la dernière postérité : le monde est encore plein d'écrits pernicieux qui ont transmis jusqu'à nous les désordres des cours précédentes : les dissolutions des grands ne meurent point; leurs exemples prêcheront encore le vice ou la vertu à nos plus reculés neveux, et l'histoire de leurs mœurs aura la même durée que celle de leur siècle. Que d'engagements heureux, Sire, leur état seul ne forme-t-il pas aux grands et aux rois pour la piété et pour la justice! S'ils y trouvent plus d'attraits pour le vice, que de puissants motifs n'y trouvent-ils pas aussi pour la vertu! quelle noble retenue ne doit pas accompagner des actions qui seront écrites en caractères ineffaçables dans le livre de la postérité! quelle gloire mieux placée que de ne point se livrer à des vices et à des passions dont le souvenir souillera l'histoire de tous les temps et les hommes de tous les siècles! quelle émulation plus louable que de laisser des exemples qui deviendront les titres les plus précieux de la monarchie, et les monuments publics de la justice et de la vertu ! enfin, quoi de plus grand que d'être né pour le bonheur même des siècles à venir, de compter que nos exemples seuls formeront une succession de vertu et de crainte du Seigneur parmi les hommes, et que, de nos cendres mêmes, il en renaîtra d'âge en âge des princes qui nous seront semblables! Telle est, Sire, la destinée des bons rois; et tel fut votre auguste bisaïeul, ce grand roi que nous vous proposerons toujours pour modèle: hélas! il le sera de tous les rois à venir. N'oubliez jamais ces derniers moments où cet héroïque vieillard, comme aujourd'hui Siméon, vous tenant entre ses bras, vous baignant de ses larmes paternelles, et offrant au Dieu de ses pères ce reste précieux de sa race royale, quitta la vie avec joie, puisque ses yeux voyoient l'enfant miraculeux que Dieu réservoit encore pour être le salut de la nation et la gloire d'Israël. Sire, ne perdez jamais de vue ce grand spec PETIT CARÊME. 2 |