POUR LE DIMANCHE DES RAMEAUX. SUR LES ÉCUEILS DE LA PIÉTÉ DES GRANDS. Ecce rex tuus venit tibi mansuetus. Voici votre roi qui vient à vous plein de douceur. Matth. 21. 5. SIRE, PARTOUT ARTOUT ailleurs Jésus-Christ semble n'exercer qu'avec une sorte de ménagement les fonctions éclatantes de son ministère. Il se dérobe aux empressements d'un peuple qui veut l'élever sur le trône: il choisit le sommet solitaire d'une montagne écartée, pour manifester sa gloire à trois disciples : les démons eux-mêmes, qui veulent la publier, sont forcés par ses ordres de la cacher et de la taire. Aujourd'hui il paroît en roi, et comme un roi qui vient prendre possession de son empire. Il souffre des hommages publics; il dispose en maître de l'appareil innocent de son triomphe: Dicite quia Dominus his opus habet'. Il entre dans le temple; et, par des châtiments éclatants, il rend à ce lieu sacré la majesté que l'indécence d'un trafic honteux lui avoit ôtée. Ce n'est plus cet homme qui se dérobe aux regards publics; c'est le fils de David, qui donne des loix, qui exerce une autorité suprême, et qui veut avoir tout Jérusalem pour témoin de son zèle et de sa puissance. Il est donc ici le modèle de la piété des grands. Les vertus privées ne leur suffisent pas ; il leur faut encore les vertus publiques. Ce seroit peu de les avoir jusques ici exhortés à la piété : l'essentiel est de leur montrer quelle est la piété de leur état. Quoique l'Evangile propose à tous la même doctrine, il ne propose pas à tous les mêmes règles: les devoirs changent avec l'état; plus il est élevé, plus ils se multiplient; plus nos places nous rendent redevables au public, plus elles exigent des vertus publiques; et nous devenons mauvais, si nous ne sommes bons que pour nous-mêmes. Or, la piété des grands a trois écueils à craindre, qui peuvent changer en vices toutes leurs vertus. Premièrement, une piété oisive et renfermée 1 Matth. 21. 3. en elle-même, qui les éloigne des soins et des devoirs publics. Secondement, une piété foible, timide, scrupuleuse, qui jette l'indécision dans leurs entreprises et dans toute leur conduite. Enfin, une piété crédule et bornée, facile à recevoir l'impression du préjugé, et incapable de revenir quand une fois elle l'a reçue. C'est-à-dire qu'il faut à la piété des grands la vigilance publique, qui fait agir; le courage et l'élévation, qui font décider et entreprendre; enfin, ou les lumières qui empêchent d'être surpris, ou une noble docilité qui se fait une gloire de revenir dès qu'elle a senti qu'on l'a surprise. PREMIÈRE PARTIE. SIRE, la piété véritable est l'ordre de la société; elle laisse chacun à sa place, fait de l'état où Dieu nous a placés l'unique voie de notre salut, ne met pas une perfection chimérique dans des œuvres que Dieu ne demande pas de nous, ne sort pas de l'ordre de ses devoirs pour s'en faire d'étrangers, et regarde comme des vices les vertus qui ne sont pas de notre état. Tout ce qui trouble l'harmonie publique est un excès de l'homme, et non un zèle et une perfection de la vertu. La religion désavoue les œuvres les plus saintes qu'on substitue aux devoirs, et l'on n'est rien devant Dieu quand on n'est pas ce que l'on doit être. Il y a donc une piété, pour ainsi dire, propre à chaque état. L'homme public n'est point vertueux, s'il n'a que les vertus de l'homme privé : le prince s'égare et se perd par la même voie qui auroit sauvé le sujet ; et le souverain en lui peut devenir très criminel, tandis que l'homme est irréprochable. Aussi le premier écueil de la piété des grands est de les retirer des soins publics et de les renfermer en eux-mêmes. Comme l'indolence et l'amour du repos est le vice ordinaire des grands, il devient encore plus dangereux et plus incorrigible quand ils le couvrent du prétexte de la vertu. La gloire peut réveiller quelquefois dans les grands l'assoupissement de la paresse; mais celui qui a pour principe une piété mal entendue est en garde contre la gloire même, et ne laisse plus de ressource. Un reste d'honneur et de respect pour le public et pour la place qu'on occupe rompt souvent les charmes d'une oisiveté honteuse, et rend aux peuples le souverain qui se doit à eux; mais quand ce repos indigne est occupé par des exercices pieux, il devient à ses yeux honorable: on peut PETIT CARÊME. II rougir d'un vice; mais on se fait honneur de ce qu'on croit une vertu. Mais, Sire, un grand, un prince n'est pas né pour lui seul; il se doit à ses sujets. Les peuples, en l'élevant, lui ont confié la puissance et l'autorité, et se sont réservé en échange ses soins, son temps, sa vigilance. Ce n'est pas une idole qu'ils ont voulu se faire pour l'adorer, c'est un surveillant qu'ils ont mis à leur tête pour les protéger et pour les défendre : ce n'est pas de ces divinités inutiles qui ont des yeux et ne voient point, une langue et ne parlent point, des mains et n'agissent point; ce sont de ces dieux qui les précèdent, comme parle l'Ecriture , pour les conduire et les défendre. Ce sont les peuples qui, par l'ordre de Dieu, les ont faits tout ce qu'ils sont; c'est à eux à n'être ce qu'ils sont que pour les peuples. Oui, Sire, c'est le choix de la nation qui mit d'abord le sceptre entre les mains de vos ancêtres ; c'est elle qui les éleva sur le bouclier militaire, et les proclama souverains. Le royaume devint ensuite l'héritage de leurs successeurs ; mais ils le dûrent originairement au consentement libre des sujets. Leur naissance seule les mit ensuite en possession du trône; mais ce furent les suffrages publics qui attachèrent d'abord ce droit et cette prérogative à leur naissance. |