forcé de verser des larmes sur ses propres victoires. Mais la gloire, Sire, d'être cher à son peuple et de le rendre heureux, n'est environnée que de la joie et de l'abondance: il ne faut point élever de statues et de colonnes superbes pour l'immortaliser; elle s'élève dans le coeur de chaque sujet un monument plus durable que l'airain et le bronze, parce que l'amour dont il est l'ouvrage est plus fort que la mort. Le titre de conquérant n'est écrit que sur le marbre; le titre de père du peuple est gravé dans les cœurs. Et quelle félicité pour le souverain de regarder son royaume comme sa famille, ses sujets comme ses enfants; de compter que leurs cœurs sont encore plus à lui que leurs biens et leurs personnes, et de voir, pour et de voir, pour ainsi dire, ratifier chaque jour le premier choix de la nation qui éleva ses ancêtres sur le trône ! La gloire des conquêtes et des triomphes a-t-elle rien qui égale ce plaisir? Mais de plus, Sire, si la gloire des conquérants vous touche, commencez par gagner les cœurs de vos sujets; cette conquête vous répond de celle de l'univers. Un roi cher à une nation valeureuse comme la vôtre n'a plus rien à craindre que l'excès de ses prospérités et de ses victoires. PETIT CAREME. 8 Ecoutez cette multitude que Jésus-Christ rassasie aujourd'hui dans le désert: ils veulent l'établir roi sur eux: Ut raperent eum, et facerent eum regem'. Ils lui dressent déja un trône dans leur cœur, ne pouvant le faire remonter encore sur celui de David et des rois de Juda ses ancêtres : ils ne reconnoissent son droit à la royauté que par son humanité. Ah! si les hommes se donnoient des maîtres, ce ne seroit ni les plus nobles ni les plus vaillants qu'ils choisiroient; ce seroit les plus tendres, les plus humains, des maîtres qui fussent en même temps leurs pères. Heureuse la nation, grand Dieu, à qui vous destinez dans votre miséricorde un souverain de ce caractère ! D'heureux présages semblent nous le promettre la clémence et la majesté, peintes sur le front de cet auguste enfant, nous annoncent déja la félicité de nos peuples; ses inclinations douces et bienfaisantes rassurent et font croître tous les jours nos espérances. Cultivez donc, ô mon Dieu, ces premiers gages de notre bonheur : rendez-le aussi tendre pour ses peuples que le prince pieux auquel il doit la naissance, et que vous n'avez fait que montrer à la terre. Il ne vouloit régner, vous le savez, que pour nous rendre heureux; nos 1 Joan. 6. 15, misères étoient ses misères nos afflictions étoient les siennes ; et son cœur ne faisoit qu'un cœur avec le nôtre. Que la clémence et la miséricorde croissent donc avec l'âge dans cet enfant précieux, et coulent en lui avec le sang ‚ d'un père si humain et si miséricordieux! que la douceur et la majesté de son front soit toujours une image de celle de son ame! que son peuple lui soit aussi cher qu'il est lui-même cher à son peuple ! qu'il prenne dans la tendresse de la nation pour lui la règle et la mesure de l'amour qu'il doit avoir pour elle! par là il sera aussi grand que son bisaïeul, plus glorieux que tous ses ancêtres, et son humanité sera la source de notre félicité sur la terre et de son bonheur dans le ciel. Ainsi soit-il. SERMON POUR LE JOUR DE L'INCARNATION. SUR LES CARACTÈRES DE LA GRANDEUR DE JÉSUS-CHRIST. Hic erit magnus. Il sera grand. Luc, 1. 32. SIRE, QUAND les hommes augurent d'un jeune prince qu'il sera grand, cette idée ne réveille en eux que des victoires et des prospérités temporelles; ils n'établissent sa grandeur future que sur des malheurs publics; et les mêmes signes qui annoncent l'éclat de sa gloire, sont comme des présages sinistrés qui ne promettent que des calamités au reste de la terre. Mais ce n'est pas à ces marques vaines et lugubres de grandeur que l'ange annonce aujourd'hui à Marie que Jésus-Christ sera grand : le langage du ciel et de la vérité ne ressemble pas à l'erreur et à la vanité des adulations humaines, et Dieu ne parle point comme l'homme. Jésus-Christ sera grand, parce qu'il sera le saint et le Fils de Dieu : Sanctum, vocabitur Filius Dei'; parce qu'il sauvera son peuple: Ipse enim salvum faciet populum suum'; parce que son règne ne finira plus: Et regni ejus non erit finis3. Tels sont les caractères de sa grandeur; une grandeur de sainteté, une grandeur de miséricorde, une grandeur de perpétuité et de durée. Et voilà les caractères de la véritable grandeur. Ce n'est pas, Sire, dans l'élévation de la naissance, dans l'éclat des titres et des victoires, dans l'étendue de la puissance et de l'autorité, que les princes et les grands doivent la chercher : ils ne seront grands, comme JésusChrist, qu'autant qu'ils seront saints, qu'ils seront utiles aux peuples, et que leur vie et leur règne deviendra un modèle qui se perpétuera dans tous les siècles, c'est-à-dire qu'ils auront comme Jésus-Christ une grandeur de sainteté, une grandeur de miséricorde, une grandeur de perpétuité et de durée. 'Luc, 1. 35. 2 Matth. 1. 21. -- Lue, 1. 33. |