Si la priorité de la méthode n'appartient pas à Tuffier, il a eu le mérite incontestable d'avoir le plus effectivement contribué à sa vulgarisation et celui d'avoir fixé une technique opératoire qui, sauf des modifications insignifiantes, a été adoptée presque partout. Presqu'en même temps que Tuffier, Seldowitsch, s'inspirant des tentatives de Bier, opérait également quatre malades après cocaïnisation sous-arachnoïdienne et, dans l'article qu'il consacra à ces faits, se déclara très partisan de la méthode. Puis les observations et les travaux se multiplièrent. Aussi, à l'heure actuelle, permettraient-ils de constituer un important dossier sur la question. Parmi les documents les plus complets, les plus intéressants que nous ayons lus, nous devons citer la thèse de Cadol, lequel est vif partisan du nouveau procédé d'anesthésie. Reprenant la question de l'anesthésie générale (chloroforme, éther) et abstraction faite des accidents mortels que malheureusement on enregistre parfois, il remet en lumière les accidents, les alertes, les suites fâcheuses qui la compliquent et qu'on oublie peut-être un peu trop facilement. Il fait une étude très soigneuse de la cocaïne, étudie plus particulièrement son emploi en injections dermiques ou hypodermiques, rappelle les procédés de Reclus, de Kummer, de Krogius, et consacrant au procédé de Reclus, comme au meilleur des trois, l'examen attentif qu'il mérite, relève pourtant à son passif plusieurs défauts (plutôt applicable à la petite chirurgie; est incompatible avec une opération délicate et prolongée; exige des doses de cocaïne élevées, dangereuses, 7 à 12 centigr.; nécessite souvent au cours d'une opération 1, 2, 3 anesthésies locales supplémentaires; se complique souvent de suppuration). - M. Cadol rappelle ensuite la série des travaux qui ont conduit à l'administration de la cocaïne par la voie rachidienne, relate les premiers essais, les recherches expérimentales de Sicard, de Jaboulay, de Jacob, Ghika, de Comte, etc. ; présente les observations de Bier (de Kiel), de Seldowitsch, et les faits recueillis dans le service de Tuffier; il étudie les particularités diverses de l'analgésie cocaïnique (étendue suivant les doses, durée, moment de son apparition, phénomènes qui l'accompagnent, mode de développement, dissociation syringomiélique, phénomènes de la phase analgésique et post-analgésique, influence du titre de la solution, caractère fugace des inconvénients), et termine en fixant la technique opératoire et en résumant les résultats qu'on est en droit d'attendre de la nouvelle méthode. A ce sujet, il exprime le regret de n'avoir pu trouver dans les services d'accouchement de Paris la facilité suffisante pour éprouver, chez les parturientes, la nouvelle méthode anesthésique qui lui paraît devoir, dans ce domaine particulier, rendre de signalés services. De fait, depuis la thèse de Cadol, les observations de Kreis, de Marx, de Doléris et Malartic, de Dupaigne, etc., sont venues confirmer, en partie du moins, ses prévisions. Nous citerons encore les contributions des auteurs suivants: Schiassi (Bologne), de Rusca (Barcelone), Séveraneu (Bucharest), Nicoletti (Naples), RacoviceanuPitesci (Bucharest), de Rouville (Montpellier), Doléris, Legueu et Kendirdjy, Manega (de Palerme), Goldan (New-York), I. M. Murphy (Chicago), Morton (San-Francisco), Villar (Bordeaux). Au cours d'une conversation toute récente, M. le Dr Demoulin, chirurgien à l'hôpital Boucicaut, nous a dit avoir employé la cocaïnisation sous-arachnoïdienne suivant la méthode de Tuffier dans 4 cas, pour une amputation de cuisse. et pour 3 interventions gynécologiques importantes. Dans les 4 cas il a bénéficié des avantages reconnus à la méthode, c'est-à-dire des avantages d'une anesthésie parfaite. Toutefois, en raison des symptômes fâcheux, quelque peu impressionnants, déjà signalés et qu'il a observés (nausées, vomissements, céphalée, éructations, expulsion de gaz par l'anus, sueurs froides, angoisse, modification du pouls, etc.), expression d'une intoxication au moins relative, il n'incline pas à appliquer la méthode d'une manière systématique, mais à la réserver pour certains cas bien déterminés. Il n'hésitera pas, par exemple, à y recourir chez des sujets pour lesquels des affections de l'appareil pulmonaire, cardiaque, rénal, un degré marqué d'artério-sclérose rendraient l'anesthésie par le chloroforme ou l'éther dangereuse. De l'étude de ces documents, si nombreux déjà, il ressort que l'anesthésie par cocaïnisation sous-arachnoïdienne lombaire n'est pas seulement, à l'heure actuelle, en voie d'être expérimentée, mais qu'elle est déjà adoptée franchement par un certain nombre de chirurgiens et accoucheurs (Tuffier, Legueu et Kendirdjy, Murphy, de Rouville, Villar, Doléris, etc.), bien que d'autres chirurgiens et accoucheurs formulent encore de sérieuses réserves (Bier, O. Goldan, Pinard, Delbet, etc.). Il est non douteux qu'au point de vue de la chirurgie générale, et pour les opérations qui s'exécutent sur les régions du corps humain situées au-dessous de l'ombilic, les partisans de la méthode ont déjà recueilli un ensemble de résultats considérable et éloquent. Ainsi, dans son plus récent article, Tuffier présente un total de 252 opérations qu'il a exécutées d'après son procédé. Étant donnée la portion du corps humain que la cocaïnisation rachidienne anesthésie, il était aisé de prévoir que la méthode recevrait rapidement des applications en gynécologie. Et, de fait, ces applications sont déjà très nombreuses périnéorrhaphies, colpo-périnéorrhaphies, colpotomies, résection du col, curettage, hystéropexie, hystérectomie vaginale, hystérectomies abdominales totales, énucléations de fibromes par voie abdominale, laparotomies pour : a) annexites, b) grossesse extrautérine, c) kyste ovarique, d) exploratrices et pour cancer, e) kyste du mésentère, autant d'interventions qui ont été exécutées à la faveur de l'anesthésie médullaire. Il était également à prévoir que, tôt, l'idée viendrait d'expérimenter la méthode de Corning et Bier, en obstétrique. Sous ce rapport, les matériaux d'appréciation restant encore relativement rares, nous ferons une analyse plus détaillée des documents que nous avons eus en main. ** Application chez les parturientes de la cocaïnisation sousarachnoidienne lombaire. Les tentatives d'utilisation des propriétés analgésiantes de la cocaïne à l'obstétrique ne sont pas, d'ailleurs, tout à fait nouvelles. En 1884, à la clinique d'accouchements, nous avons assisté aux essais faits par M. Doléris, pour diminuer le plus possible les douleurs de l'accouchement. Voici d'ailleurs comment Doléris a rappelé ces premières expériences dans sa communication récente à la Société d'obstétrique et de pédiatrie de Paris: «Dans le domaine obstétrical, nos premières expériences, pratiquées en vue d'atténuer ou de supprimer les phases les plus douloureuses du travail de l'accouchement au moyen de la cocaïne, datent de 1884. Nous nous contentions alors de badigeonnages et d'applications permanentes d'une forte solution de cocaïne sur le col utérin. Les résultats ne furent pas tout à fait négatifs. Néanmoins, ils ne nous semblèrent pas de nature à justifier la conservation d'une méthode aussi insuffisante. Quelques rares tentatives d'analgésie, effectuées dans la suite, au moyen d'injections interstitielles de cocaïne dans le tissu cervical utérin et dans l'épaisseur du périnée, et que nous n'avons jamais publiées, réalisaient un procédé tellement compliqué qu'il ne nous vint pas à l'esprit de le généraliser, encore moins de le vulgariser (1).» Ce ne furent, du reste, pas les seules tentatives d'analgésie obstétricale par applications directes de la cocaïne pour certaines régions du canal génital. Voici ce que nous lisons, en effet, dans un article de O. Galdan (de New-York) : « On ignore probablement, en général, que Polk (de New-York) a expérimenté plusieurs fois, chez des parturientes, les applications locales de cocaïne, il y a quatorze ans environ. L'injection de quatre gouttes d'une solution de cocaïne à 4 p. 100 dans les (1) Comptes rendus de la Soc. d'obst., de gyn. et de péd. de Paris, novembre 1900, p. 280. lèvres antérieure et postérieure du col produisit une anesthésie d'une heure pendant la première période du travail. Durant cette heure, la parturiente n'accusa qu'un peu de gêne, de malaise au-dessus de la symphyse et quelques douleurs vagues au niveau du sacrum. La dilatation du col put s'effectuer sans douleur. Dans la seconde période du travail, on fit des injections le long des parois du vagin, suivant la zone de distribution des nerfs honteux, et l'anesthésie obtenue fut si réelle que la traversée du vagin par la tête fœtale s'effectua sans que la parturiente se plaignît. Polk me dit que la méthode tomba en désuétude parce qu'elle n'avait pas d'avantages sur la chloroformisation (1).» Passons maintenant à l'analyse des travaux de la cocaïnisation médullaire dans les accouchements. Le premier en date est celui de O. Kreis. Les observations proviennent de la Frauenklinik, de Bâle, où elles furent faites à l'instigation du professeur E. Bumm. Les voici telles qu'elles ont été résumées par l'auteur : OBS. I. Primipare, 23 ans. Le 8 juin 1900, à 2 heures, début du travail; à 10 h. 25, rupture de la poche des eaux. A 10 h. 30, dilatation complète du col. Contractions très douloureuses, à intervalles de trois à quatre minutes. A 10 h. 50, injection de 0,01 centigr. de cocaïne dans l'espace sous-arachnoïdien, entre la quatrième et la cinquième vertèbre lombaire. Cinq minutes après, la parturiente ne ressent plus aucune douleur. Toutefois, la main appliquée sur le ventre perçoit les contractions utérines qui sont vigoureuses et qui reviennent à des intervalles de trois à quatre minutes. L'examen de la sensibilité permet de constater une zone analgésique qui s'étend au-dessus du nombril. La piqûre profonde d'une aiguille n'éveille qu'une sensation de contact. La sensibilité à la pression et la motilité sont intactes. Non seulement la parturiente peut mouvoir librement les jambes, mais elle peut aussi, quand on l'y invite, mettre en jeu la pression abdominale. L'accouchement à 11 h. 55, forceps au détroit inférieur s'effectue sans la moindre douleur. Au moment de l'application du forceps, la femme (1) The med. News, 1900, no 19, p. 721. |