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SÉVERIN.

Ce m'est tout un, je n'en ay que faire; tu as trouvé deux mille escus qui m'appartiennent, il faut que tu me les rende, ou par amour ou par force.

RUFFIN.

Je ne sçay que vous voulez dire.

SÉVERIN.

Et je le sçay bien, moy. (A Gérard.) Monsieur, vous me serez tes

moin comme il me doibt bailler deux mille escus.

GÉRARD.

Je ne puis tesmoigner de cecy, si je ne voy autre chose.

RUFFIN.

J'ay pœur que cestuy soit devenu fol.

SÉVERIN.

O effronté, tu me disois à ceste heure que tu avois trouvé les deux mille escus que tu sçais que j'ay perdus, puis tu dis que tu les as baillez à Urbain afin de ne me les rendre; mais il n'en ira pas ainsi. Urbain est émancippé, je n'ay que faire avecques luy.

RUFFIN.

Seigneur Séverin, je vous enten, nous sommes en équivoque; car, quant aux deux mille escus que dictes avoir perdus, je n'en avois encore oy parler jusques icy, et ne dis que je les ay trouvez, mais bien que j'ay trouvé le père de Feliciane, qui est cest homme de bien que voicy.

Je le pense ainsi.

GÉRARD.

SÉVERIN.

Qu'ay-je afaire de Feliciane? Vostre male peste, que Dieu vous envoye à tous deux, de me venir rompre la teste avec vos bonnes nouvelles, puis que n'avez trouvé mes escus.

RUFFIN.

Nous disions que seriez bien ayse que vostre fils doit estre gendre

de cest homme de bien.

SÉVERIN.

Allez au diable qui vous emporte, et me laissez icy.

RUFFIN.

Escoutez, seigneur Séverin, escoutez; il a fermé l'huys!

Simple et méfiant tour à tour, et toujours à contre-temps, Séverin croit fermement avoir retrouvé sa bourse, quand on lui parle d'autre chose; mais, qu'on lui affirme positivement qu'elle est retrouvée, il se gardera bien d'y croire.

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Ils sont icy près, et, devant qu'il soit long-temps, vous les aurez

entre vos mains.

SÉVERIN.

Je ne le puis croire, si je ne les voy et les touche.

HILAIRE.

D'avant que vous les ayez, il faut que me promettiez deux choses, l'une de donner Laurence à Desiré, l'autre de consentir qu'Urbain prenne une femme avec quinze mil livres.

SÉVERIN.

Je ne sçay que vous dictes; je ne pense à rien qu'à mes escus, et ne pensez pas que je vous puisse entendre, si je ne les ay entre mes mains; je dy bien que, si me les faictes rendre, je feray ce que vous voudrez.

HILAIRE.

Je le vous prometz.

SÉVERIN.

Et je le vous prometz aussi.

HILAIRE.

Si ne tenez vostre promesse, nous les vous osterons. Tenez, les voilà.

SÉVERIN.

O Dieu, ce sont les mesmes. Hélas, mon frère, que je vous ayme; je ne vous pourray jamais récompenser le bien que vous me faictes, deussé-je vivre mille ans.

HILAIRE.

Vous me récompenserez assez, si vous faictes ce dont je vous prie.

SÉVERIN.

Vous m'avez rendu la vie, l'honneur et les biens que j'avois perduz

avec cecy.

HILAIRE.

Voilà pourquoy vous me devez faire ce plaisir.

SÉVERIN.

Et qui me les avoit desrobbez?

HILAIRE.

Vous le sçaurez après, respondez à ce que je demande.

SÉVERIN.

Je veux premièrement les compter.

HILAIRE.

Qu'en est-il besoin?

SÉVERIN.

Ho, ho, s'il s'en falloit quelcun?

HILAIRE.

Il n'y a point de faute, je vous en respond.

SÉVERIN.

Baillez-le-moy donc par escrit.

FORTUNÉ.

O quel avaricieux!

HILAIRE.

Voyez, il ne me croira pas.

SÉVERIN.

Or sus, c'est assez, vostre parolle vous oblige; mais que dictes-vous

de quinze mille francs?

Regardez s'il s'en souvient.

FORTUNÉ.

HILAIRE.

Je dy que nous voulons en premier lieu que baillez vostre fille à

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Après, que consentiez qu'Urbain espouse une fille avec quinze mille francs.

SÉVERIN.

Quant à cela, je vous en prie; quinze mille francs! il sera plus riche que moy.

Dans ces seuls mots : « Il sera plus riche que moi! » « O Dieu, ce sont les mêmes ! » il y a un accent d'avarice, une naïveté de passion, une science de la nature humaine, qui suffiraient pour déceler en Larivey un auteur comique d'un ordre éminent. Mais, tout supérieur qu'il était pour son siècle, il ne poussa pas le talent jusqu'au génie; et, comme aucun génie n'avait encore frayé la route, ce talent eut peine à se faire jour, et défaillit fréquemment. Venu après Molière, Larivey aurait sans doute égalé Regnard, et il ne fut que le premier des bouffons 1.

1. La plupart des biographes ont dit peu de chose de Larivey, et les frères Parfait regrettent que ses contemporains aient été si sobres de documents sur son compte. J'ai le plaisir de rencontrer chez Grosley, compatriote de Larivey, des particularités qu'on ne rencontre que là. Il en avait parlé une première fois dans ses Mémoires pour l'Histoire de Troyes (tome 1, page 419); mais je citerai de préférence un article assez différent qu'on lit dans ses Mémoires sur les Troyens célèbres (Œuvres inédites, 1812, tome 1, page 19), supposant que cet article tout spécial contient son dernier mot rectifié : « Pierre de L'Arrivey, dit-il, chanoine de Saint-Etienne de Troyes, "était fils d'un des Giunti (de cette famille d'imprimeurs établie à Florence "et à Venise), Florentin venu à Troyes, soit en la compagnie des artistes "florentins qui nous ont laissé tant de monuments de leurs études sous "Michel-Ange, soit pour y suivre, à l'exemple de plusieurs de ses compa

triotes, des affaires de commerce et de banque. L'Arrivey était versé dans >> la langue italienne et dans les connaissances astrologiques, dont Catherine » de Médicis avait apporté le goût en France. Il a traduit plusieurs ou"vrages de l'italien (entre autres le second volume des facélieuses Nuits de Straparole); il tirait en même temps des horoscopes et remplissait les fonctions de greffier de son chapitre (Des Guerrois, le dévot chroniqueur, dans ses Saints de Troyes, page 424, mentionne en effet, à la date du di"manche 20 novembre 1605, la translation d'une côte du corps de saint "Aventin, de laquelle côte l'église de Saint-Etienne voulut bien se dessaisir " en faveur d'une autre paroisse; et en fut fait un procès-verbal signé par Larivey, chanoine du dit Saint-Etienne.... A juger de toutes ses comédies " par celle des Tromperies, la dernière des trois publiées en 1611, ce seraient " de simples traductions de l'italien. Ces Tromperies offrent une traduction "littérale des gl' Inganni de Niccolo Secchi, imprimés en 1562 par les
Giunti. L'Arrivey a rendu cette pièce avec toutes ses longueurs et ses obscé-
"nités, se contentant, pour dépayser ses lecteurs, de transporter à Troyes
>> le lieu de la scène..... Pierre L'Arrivey le jeune, son neveu, se borna aux
>> prédictions et horoscopes, et fit des Almanachs; Troyes lui a dû en partie
" la vogue des siens. " Ainsi tout s'explique; ce facétieux chanoine, La
Rivey ou L'Arrivey (sans aucun doute l'Arrive, Advena, Giunto), sous son
faux air champenois, était simplement un enfant italien, comme Charles
D'Orléans, en son temps, était fils d'une Milanaise; cela, d'un trait, arrange
bien des choses. Il n'eut qu'à puiser pour ses gaietés dans la littérature pa-
ternelle et dans la librairie en quelque sorte domestique; ceste source com-
mode le rendit à l'instant supérieur en son genre à ses contemporains. Il le
faut confesser humblement, nous retrouvons partout l'imitation à nos ori-
gines: içi, à chaque pas, c'est l'Italie; plus tard, ce sera l'Espagne pour le
Menteur, pour le Cid, imités eux-mêmes et quasi traduits.

Les Néapolitains de François d'Amboise, et les Contents
d'Odet Turnèbe, qui parurent en 1584, ont les caractères des
pièces de Larivey, et doivent être compris dans le même ju-
gement. On peut encore rapporter à cette famille le Muet
insensé de Pierre Le Loyer, mais non pas sa Nephélococugie,
qui est une imitation indirecte des Oiseaux d'Aristophane. Ce
Pierre Le Loyer, Angevin, d'ailleurs fort savant dans les lan-
gues, et grand visionnaire, y raille ironiquement les Hommes-
Oiseaux, dont Passerat, vers le même temps, célébrait la
métamorphose. Il suppose, dans sa pièce, que ce peuple ailé,
menacé de guerre par Priape, se bâtit en l'air une ville
formidable. Le chemin du ciel en est intercepté, et l'Olympe,
où les vivres ne peuvent plus parvenir, demande à capituler.
On entre en négociations, et tout se termine par le mariage

- Je ne puis m'empêcher de noter encore une singularité sur Larivey, ce
plaisant chanoine de Saint-Etienne, comme Beroalde de Verville l'était de
Saint-Gatien de Tours. En 1604, on publia de lui les trois Livres de l'Hu-
manité de Jésus-Christ, traduits de l'Italien; il se faisait déjà vieux; c'était
un ouvrage d'édification; on le crut revenu de Straparole au pied de la
Croix. Les distiques et sonnets d'éloges en tête du volume le prennent sur
ce ton:

Macte, o macte piis, Rivey doctissime, Musis;

En felix genio vivis et ingenio....
Hinc procul, hinc etiam atque etiam procul este, Profani;
Hic Amor, hic Pietas, Lexque Pudorque manent.

Mais peu d'années après, retrouvant dans son tiroir ses dernières comédies,
il n'y tint pas et les expédia à Paris à son ami François d'Amboise, pour
que celui-ci s'en fît le parrain; "car c'étoient, disait-il, de pauvres enfans
abandonnés et presque orphelins; et il n'auroit eu la puissance, dans le
pays même, de les défendre des brocards des médisans. » Ces médisants
m'ont l'air, en effet, d'avoir été gens très-susceptibles. Trois de ses dernières
comédies parurent donc en 1611.

1. Ronsard adressa à Le Loyer le quatrain suivant :

Loyer, ta docte muse n'erre
De batir une ville en l'air,
Où les c. puissent voler;
Ponr enx trop petite est la terre.

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